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opposer un officier de l’armée, rédacteur d’une feuille imitant, paraît-il, les plus mauvais journaux de Hambourg, ce qui n’est pas peu dire. C’est trop que, dans un pays agricole tel que le Danemark, où s’opère en ce moment une sorte de transformation de la propriété immobilière, des fermens de troubles vraiment redoutables aient trouvé si promptement accueil. L’esprit public est simple et droit chez ces peuples : il faut espérer qu’il résistera ; mais ce serait aux grandes nations à les soutenir par leurs exemples et à les guider.

La Suède a-t-elle reçu quelque atteinte du mal qui commence d’attaquer son voisin ? On ne saurait répondre par une négation absolue. La province suédoise de Scanie est très proche de l’île de Seeland, non-seulement par la faible distance, mais aussi par la ressemblance du climat, par celle des conditions agricoles et industrielles, par des communications qui sont de chaque jour. Pendant l’été de 71, des délégués de l’Internationale s’en vinrent dans une petite ville de cette province, à Ystad, port très fréquenté qui sert de point d’arrêt entre Lübeck et Stockholm ainsi que pour plusieurs autres lignes de navigation à vapeur. Ils essayèrent là de faire de la propagande, mais l’éloquence du club ne fut pas du goût de la population d’Ystad, et pour cette fois ils essuyèrent un véritable échec. Néanmoins c’est dans la même province que tout récemment un grand nombre de fermiers, accablés par des baux onéreux, se sont mis en tête que les terres appartenaient toutes, comme aux premiers temps du moyen âge, à la royauté, et que le roi pouvait dépouiller les détenteurs actuels pour les investir eux-mêmes directement, sauf redevance. Il y avait là un souvenir de la fameuse réduction jadis opérée par Charles XI, alors qu’en 1682 il avait réuni de nouveau à la couronne toutes les terres qui en avaient été séparées depuis le commencement du siècle ; mais cette spoliation de la noblesse avait eu lieu dans un temps où l’esprit public ne songeait à en faire profiter que la royauté même, dont on invoquait l’absolutisme contre une noblesse détestée. Aujourd’hui ce ne serait plus une classe privilégiée qu’on dépouillerait de la sorte, et une pure atteinte au droit de propriété n’aboutirait qu’au désordre matériel et moral, bien loin de contribuer à un affermissement quelconque d’un principe autoritaire. Les fermiers de Scanie ont adressé à la couronne plus de deux cent cinquante pétitions consignant leurs étranges espérances ; en attendant la réponse, ils ont refusé d’exécuter les conditions des engagemens qu’ils avaient naguère eux-mêmes souscrits, et ils ont résisté par la force aux exécutions légales qui devaient les expulser de leurs demeures. Qui peut mesurer jusqu’à quel point certains échos ont pu contribuer à créer leurs illusions et à exciter leurs colères ? Qui peut répondre que des