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assez grand nombre, beaucoup de sentimens monarchiques, dévoués au trône et à l’autel. J’y ai connu maints officiers, jeunes et vieux, qui sur ce point n’entendaient pas raillerie, et devant lesquels il ne fallait médire ni de Charles XII ni de Gustave III, ni de Bernadotte. Pour ceux-là comme pour le peuple, en dehors de certains critiques auxquels restait le privilége de l’examen, et qui n’avaient d’ailleurs qu’à reconnaître tout au moins les louables intentions et les utiles efforts, chacun de ces livres de leurs rois ou de leurs princes, traitant toujours de quelque sujet qui tenait au cœur de la nation, devenait un langage, familier ou grave, tombant de haut et s’adressant par quelques points au patriotisme local. C’est ainsi que le roi Oscar Ier, avec un accent digne de tous les respects, avait traité des modifications à introduire dans la législation pénale[1]. C’est ainsi que son fils Charles XV avait étudié à plusieurs reprises les prodigieux changemens survenus dans les armemens et la tactique militaire[2]. Même lorsqu’il avait paru se livrer le plus librement à ses goûts personnels, Charles XV s’était trouvé d’accord avec le goût public tel qu’il s’exprimait il y a une trentaine d’années, par exemple lorsqu’il écrivait de petits récits poétiques dans la manière de la Saga de Frithiof, mise en vers par Tegner[3]. Ce n’était pas uniquement chaque fois un calcul réfléchi de sa part, c’était bien plutôt qu’étant né, le premier de sa race, parmi les Suédois, il pensait et sentait comme eux, et c’était ce dont ils lui savaient tous un gré infini. Son frère, le roi actuel, écrivait, lui aussi, un poème à la gloire de la marine suédoise, en même temps que, l’un des chefs actifs de la flotte, il était fort occupé de la grande question d’une réorganisation de cette arme suivant les nécessités que les transformations récentes imposent.

Le règne de Charles XV restera mémorable dans les annales suédoises surtout par le grand changement politique de 1866, par la réforme de la représentation nationale. On sait que le mode de représentation en Suède reposait naguère encore sur l’antique partage de la nation en quatre ordres ou états : nobles et prêtres, bourgeois et paysans. On imagine avec quelle aisance pouvait marcher ce char à quatre chevaux qui tiraient souvent deux par deux en sens inverse. Rien que pour le mettre en branle et ensuite pour le dételer à la fin des sessions, il fallait tout un curieux travail, dont le spectacle était fort recherché du visiteur étranger. Le héraut du

  1. Outre son Traité des peines et des prisons, il avait aussi publié deux études sur le Commerce des grains et l’Éducation du soldat en temps de guerre.
  2. Idées et réflexions sur les mouvemens de la tactique moderne, — Considérations sur l’infanterie ; ouvrages publiés en français chez Tanera, rue de Savoie, à Paris.
  3. Légendes et poèmes scandinaves, par le roi Charles XV, traduit par M. de Lagrèze, 1 vol. in-18.