Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/979

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

carliennes, avec leur costume aux vives couleurs, qui faisaient mouvoir à tour de bras les aubes de petits bateaux transportant les promeneurs au parc magnifique qui sert aux habitans de Stockholm de lieu de promenade et de prochaine villégiature. Aujourd’hui le voyageur, après la courte traversée du Sund, franchit en vingt heures la distance entre Malmö et Stockholm, en douze celle entre Stockholm et Gothenbourg, en quinze (depuis le 16 juin de l’an dernier) celle de Stockholm à Christiania. Les chemins de fer, les hôtels confortables, le gaz, ont fait de Stockholm une grande ville parfaitement semblable aux autres, sauf les merveilles de sa situation sur cinq îles. Gothenbourg, sa rivale, ressemble à une ville anglaise ou américaine. Les perfectionnemens industriels se sont introduits en Suède d’après les meilleurs modèles britanniques. Parfois, à vrai dire, le pittoresque y perd, mais le progrès y gagne, le progrès social et moral, fort intéressé au meilleur emploi de l’activité humaine. Le contraste des deux époques résume tout un changement intérieur, dont une grande part revient aux treize années du règne de Charles XV.

Ce développement rapide est précisément le cadre naturel où il faut replacer, pour s’en rendre compte, la physionomie vive et intelligente du dernier roi de Suède. Les traits particuliers du tableau où elle doit figurer sont l’activité même de la capitale suédoise transformée, — ce pont du Nord, voisin du château, où Charles XV passait souvent à pied, non pas, comme le calife Haroun-al-Raschid, pour écouter aux portes et épier ses sujets, mais ne dédaignant pas de s’entretenir, en usant du tutoiement traditionnel, privilége antique de la couronne, avec ceux qu’il rencontrait, — cet Ulricsdal voisin de Stockholm, résidence d’été où il avait réuni de nombreux objets d’art. Charles XV plaisait au peuple suédois par sa haute mine et son caractère chevaleresque. Il a déjà sa légende : j’ai sous les yeux quelques-unes des petites brochures publiées après sa mort pour être répandues par le colportage : Souvenirs de Charles XV, Anecdotes sur Charles XV, etc. On voudrait y trouver quelques traits originaux ; mais qui ne sait ce que sont, dans tous les pays du monde, les recueils populaires d’anecdotes et de mots soi-disant heureux ? Quand les auteurs de ces sortes de recueils ne sont pas eux-mêmes très pauvres d’esprit, ce sel a tout au moins un goût de terroir et ne s’exporte pas facilement ; on peut voir ce que sont déjà les prétendus bons mots des héros de Plutarque. De plus le sentiment monarchique ou l’industrialisme qui l’exploite n’y regarde pas de si près et n’a pas le goût difficile. Toutefois, si la plupart des jeux de mots qu’on nous offre ici sont trop plats ou intraduisibles, les anecdotes sont du moins de nature à donner une assez juste idée de la simplicité, de l'appa-