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semaines une de ses couronnes les plus enviées[1], a reconnu que chez l’écrevisse les antennes repoussent pendant le temps qui sépare une Mlle de la suivante, c’est-à-dire pendant un temps qui varie de six semaines à six mois, selon l’âge de l’écrevisse. Les pattes et les lamelles de la queue se régénèrent aussi, mais beaucoup plus lentement. La reproduction est d’autant plus longue que l’animal est moins jeune. Chez les écrevisses âgées de moins d’un an, tous les membres enlevés se reforment en soixante-dix jours environ. Chez les adultes mâles, la régénération complète exige de dix-huit mois à deux ans et chez les femelles de trois à quatre ans. Enfin M. Chantran a découvert l’année dernière un phénomène bien autrement singulier. Il a constaté que les yeux de l’écrevisse se régénèrent lorsqu’on les enlève, et que parfois à la place d’un œil arraché il en repousse deux.

Voilà ce que l’expérience a établi concernant la reproduction des membres et des organes chez les animaux. Il faut examiner maintenant comment se régénèrent les tissus. Tous les tissus qui ont été détruits chez l’adulte, — peau, nerfs, muscles, os, — sont susceptibles de se régénérer, et ils se régénèrent en parcourant une série de phases identiques à celles de leur développement embryonnaire, de leur génération proprement dite. C’est la même force qui les a fait naître et qui les reproduit. Dans tous les cas, les élémens du nouveau tissu se produisent exactement comme ceux de l’ancien, et ces phénomènes, nullement extraordinaires ou exceptionnels, attestent une fois de plus l’unité et la simplicité des mécanismes physiologiques.

L’épiderme se régénère avec la plus grande facilité. Il repousse comme les cheveux et comme les ongles. C’est le même tissu. Le cristallin de l’œil, qu’on peut rapprocher de la substance épidermique, se reproduit aussi lorsqu’il a été enlevé. C’est ce qui résulte du moins des expériences très nombreuses de M. Milliot exécutées sur des chiens et des lapins. Ce physiologiste a observé constamment qu’en pratiquant sur ces animaux l’ablation de cette lentille biconvexe qui est un des principaux organes de l’appareil visuel, elle était rétablie au bout de quelques mois. La maladie connue sous le nom de cataracte consiste en ce que le cristallin perd sa transparence et devient opaque, de telle sorte que les rayons lumineux ne le traversent plus. Il n’y a de remède à cette affection de l’œil que l’opération dite de la cataracte, laquelle consiste à enlever le cristallin. L’œil ainsi opéré ne recouvre pas la netteté de la vision

  1. Dans sa séance du 25 novembre dernier, l’Académie a décerné à M. Chantran le prix de physiologie expérimentale pour ses recherches sur l’écrevisse.