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d’opérer un triage préalable entre les objets dignes de la Bibliothèque et ceux qui ne mériteraient pas d’y figurer, — les félicitations qu’il reçoit à ce moment de ses amis, de Lancelot entre autres, sur la liberté que les événemens lui laissent d’agir absolument à sa guise[1], — enfin et surtout la présence aujourd’hui dans les papiers de Clairambault conservés au département des manuscrits d’une quantité considérable de pièces écrites ou annotées de la main de Gaignières[2], — tout cela permet au moins d’hésiter sur le degré de confiance que peuvent inspirer les procédés employés pour liquider la succession ouverte et le désintéressement du liquidateur.

Quoi qu’il en soit, après que l’abbé de Louvois, alors garde de la Bibliothèque, eut accepté pour cet établissement la part que lui attribuait l’état récapitulatif dressé par Clairambault, après que les tableaux et les autres articles jugés, à tort ou à raison, inutiles eurent été séparés du lot de la Bibliothèque pour être publiquement vendus[3], 2,679 volumes ou portefeuilles, contenant des manuscrits, des dessins et des estampes, vinrent à la fin de l’année 1716 occuper la place que la générosité de Gaignières leur avait d’avance assignée. Le tout, il est vrai, déposé en bloc au cabinet des manuscrits, y demeura pendant plus de vingt ans dans cet état d’indivision ; mais en 1740 on se décida à répartir les diverses séries de la collection de Gaignières en raison du caractère propre à chacune d’elles et des collections déjà existantes auxquelles la nature des pièces semblait le plus naturellement les rattacher. Ce fut ainsi que le cabinet des estampes, qui avait commencé alors de former un département distinct, s’enrichit de ces précieuses suites de costumes, de portraits, de pièces topographiques, de tant d’autres

  1. « Enfin, écrivait Lancelot à Clairambault dix jours après la mort de Gaignières, enfin vous voilà donc le maître ou peu s’en faut d’un des plus grands dépôts qu’il y ait. Il me semble déjà, monsieur, vous voir nager en pleine eau… »
  2. M. Léopold Delisle, dans son savant ouvrage sur le Cabinet des manuscrits, évalue « à plus de cent volumes » l’ensemble des pièces provenant de la collection de Gaignières que Clairambault se serait ainsi « appropriées. »
  3. Cette vente, prescrite par un arrêt du conseil en date du 6 mars 1717, produisit une somme totale de 16,761 livres 14 sols. L’estimation des objets réservés pour la Bibliothèque donnait sur l’état dont nous avons parlé un chiffre à peu près double, 36,783 livres. Au reste tout ce qui concernait le fait de la donation même fut tenu aussi secret que possible par le ministre et par ses agens. Les affiches annonçant la vente publique ne disaient mot de ce qui y avait donné lieu, et dès le 13 avril 1715 le Mercure recevait l’ordre d’observer à ce sujet le même silence. « Vous pouvez, écrivait le marquis de Torcy au directeur de ce recueil, parler de M. de Gaignières dans un de vos prochains Mercures et faire mention, si vous le jugez à propos, de sa naissance, de son mérite et de ses qualités personnelles ; mais il ne convient pas que vous parliez de la disposition qui a été faite de son cabinet. »