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plaine, il faut s’avancer de 24 degrés latitudinaux vers le nord jusqu’au village de Pello dans la Laponie suédoise, où j’ai observé des pins dont la croissance n’était guère plus rapide que celle du pin des Pyrénées à sa limite altitudinale.

En sortant de la forêt, on atteint un petit plateau d’où l’on découvre enfin la vraie cime de la montagne, cachée jusque-là par d’autres sommets. Ce plateau, situé à 2 359 mètres, se nomme le Plat de Cadi ; c’est le fond de l’ancien glacier de Cadi dans sa dernière période de retrait. A l’époque glaciaire, ce glacier, débouchant dans la vallée de la Têt, poussait ses dernières moraines jusqu’en aval de Vinça. En se retirant, il a stationné longtemps au village de Casteil, où il a également déposé une puissante moraine. Le Plat de Cadi, circonscrit par les moraines latérales et frontales du glacier, en indique la dernière station. Aujourd’hui le Canigou n’a plus de glaciers ; quelques amas de neige persistent dans des creux abrités du soleil, mais ils ne remplissent jamais un couloir tout entier, et la neige ne se convertit pas en glace par suite de fusions et de congélations répétées. Dans les Alpes helvétiques, où le climat est plus froid, de petits glaciers permanens existent autour de sommets moins élevés que le Canigou, tels que le Faulhorn et le Maenliflüh, qui ne dépassent pas 2 680 mètres.

Trois tentes avaient été dressées sur ce petit plateau, l’une pour les officiers, la seconde pour les sous-officiers, la troisième pour les dix soldats que le colonel du 15e de ligne avait mis à la disposition des géodésiens. Un réduit en pierres construit par les ingénieurs espagnols, qui avaient passé trois semaines sur ce point en 1868, servait de cuisine. Cet emplacement était heureusement choisi ; le plateau de Cadi est à la fin du chemin praticable pour les mulets et à la limite de la végétation arborescente. Des troncs de pins morts et desséchés servaient à alimenter notre feu de bivouac. La source du Cadi, surgissant immédiatement au-dessous du campement, nous fournissait une eau délicieuse à la température constante de 4°,7. Les bergers, qui à cette époque de l’année font paître leurs troupeaux à cette hauteur, nous cédaient des moutons qui faisaient la base de notre alimentation. Le pain et le vin étaient apportés du Vernet à dos de mulet. Une basse-cour improvisée de poules et de canards se nourrissait des restes de la cuisine. Notre vie était assurée. Du campement il fallait chaque matin monter au sommet. Cette ascension n’avait rien de pénible jusqu’à l’endroit où commence la cheminée ; c’est un couloir étroit ayant une pente de 42 degrés qui s’élève entre les couches redressées du sommet de la montagne. Sur une hauteur de 80 mètres environ, il faut grimper en s’aidant des mains et des pieds. Pour des touristes exercés, ce passage n’a rien de difficile ; mais de lourds et délicats instrumens, le