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réjouissais de séjourner de nouveau pendant quelque temps sur un sommet élevé, comme dans ma jeunesse, lorsque je passais d’heureux jours avec Bravais sur le Faulhorn, au grand plateau du Mont-Blanc, et sur le Slaadberg dans la baie de Bellsound au Spitzberg. Je pouvais prendre part aux observations météorologiques que ces officiers faisaient concurremment avec leurs travaux géodésiques, et les compléter par des études appartenant au domaine des sciences naturelles, car tout se tient étroitement dans le monde physique, et le fait le plus insignifiant en apparence se traduit en conséquences infinies qu’on peut poursuivre dans toutes les directions. On en verra la preuve dans les pages suivantes.

II. — SÉJOUR SUR LE CANIGOU.

Dernier contre-fort des Pyrénées vers la Méditerranée, le Canigou est le pendant de la montagne de la Rhune, qui s’élève au-dessus de Saint-Jean-de-Luz, au fond du golfe de Biscaye ; mais, tandis qu’elle s’abaisse vers l’Océan, la chaîne conserve sa hauteur en s’approchant de la Méditerranée. D’après les calculs de Corabœuf, le Canigou s’élève à 2 785 mètres au-dessus de la mer, la Rhune à 900 mètres seulement, et la plus haute cime des Pyrénées, la Maladetta, à 3 354. Le Canigou forme un groupe parfaitement limité et circonscrit d’un côté par la vallée de la Têt, rivière torrentielle qui passe à Perpignan et descend des montagnes qui entourent la forteresse du Mont-Louis, et de l’autre par la vallée de Céret, parcourue par le Tech, qui se jette dans la Méditerranée près d’Argelez-sur-Mer. les petites vallées de Sahors, du Vernet, de Fillos et de Ballestavy pénètrent dans l’intérieur du massif et le mettent en rapport avec la vallée de la Têt. Le chemin qui mène au sommet de la montagne, praticable seulement pour les mulets jusqu’à 400 mètres au-dessous du point culminant, part des bains du Vernet, passe par le village de Casteil au pied des ruines pittoresques de l’ancienne abbaye de Saint-Martin-du-Canigou, en suivant toujours le torrent de Cadi. A 1 367 mètres, près de la Fontaine froide, dont la température est de 9°,1, on entre dans les forêts de hêtres et du pin des Pyrénées[1] accompagnés des premiers rhododendrons[2]. A 1 745 mètres, on dépasse les derniers champs cultivés en seigle et en pommes de terre, échelonnés sur une pente tournée vers le sud-est ; peu après, on traverse le torrent de la Lipandière, affluent du Cadi. Dans l’été de 1872, son lit était encombré d’un nombre immense de pins et de bouleaux arrachés aux pentes voisines par une avalanche du printemps. La

  1. Pinus uncinata.
  2. Rhododendron ferrugineum.