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major. Le capitaine Perrier, occupé de ses opérations géodésiques sur les montagnes des environs d’Oran et de Tlemcen, en Algérie, apprit de la bouche des Arabes que dans les journées favorables on voyait au coucher du soleil les montagnes de l’Espagne. Longtemps il fut incrédule ; mais le soir du 18 octobre 1868 il distingua nettement deux sommets qui d’après leur direction appartenaient aux sierras de la province de Grenade : il les revit à plusieurs reprises de différens points de la côte africaine, et constata que leur forme restait la même ; c’étaient les cimes du Mulhaçen et du pic de Sagra. On pouvait donc relier la triangulation de l’Espagne, exécutée actuellement avec le plus grand soin par le général Ibañes, à celle de l’Algérie, et la continuer dans le sud jusqu’à la limite extrême de nos possessions africaines. La méridienne française étant déjà rattachée à celle de l’Angleterre, on aurait ainsi une chaîne continue de triangles depuis les Shetlands jusqu’au Sahara, c’est-à-dire un arc de 30 degrés latitudinaux, le plus long qui ait été mesuré jusqu’ici. Le capitaine Perrier soumit cette idée au maréchal Niel. Frappé de l’importance, séduit par la grandeur du projet, ce ministre intelligent comprit en même temps qu’il était nécessaire de recommencer la mesure de la méridienne de France comprise entre Dunkerque et Perpignan. En effet, c’est une vérité absolue dans les sciences positives que toutes les questions doivent être reprises au moins tous les cent ans en utilisant les procédés nouveaux et plus parfaits qu’un progrès incessant introduit dans la pratique et dans la théorie, car la vérité absolue est un idéal dont nous nous rapprochons sans cesse avec la conviction de ne jamais l’atteindre. Il fallait donc mesurer de nouveau les triangles de Delambre et Méchain, ou remplacer ceux qui pouvaient être défectueux sous le point de vue de la forme ou des dimensions. Sur la proposition du Bureau des longitudes, trois officiers instruits et zélés, MM. Perrier, Penel et Bassot, furent chargés d’entreprendre ce long et pénible travail. Quelques fonds leur furent alloués, quelques soldats pris dans la garnison voisine mis à leur disposition. Munis d’instrumens construits sur les données de la science moderne, ils entrèrent en campagne.

Parmi les stations déjà faites de la méridienne, le Canigou est une des plus importantes ; c’est une montagne isolée qui termine à l’orient la chaîne des Hautes-Pyrénées. Corabœuf y avait séjourné lorsqu’il mesurait le parallèle qui s’étend de l’Océan à la Méditerranée ; des ingénieurs espagnols y passèrent trois semaines en 1868 : c’est donc une station commune au réseau espagnol et au réseau français. M. Perrier voulut bien m’inviter à venir habiter sous sa tente. J’acceptai avec empressement ; « j’étais désireux de connaître les perfectionnemens dont la géodésie moderne s’est enrichie, je me