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le fleuve au port d’Alexandrie. Il avait même, disait-on, des desseins d’une plus haute portée, et déjà on lui attribuait la pensée de mettre en communication le Nil et la Mer-Rouge ; mais les Anglais avaient les yeux ouverts sur ses entreprises, et il n’était pas encore assez puissant pour oser donner suite à un projet dont les possesseurs de l’Inde auraient infailliblement pris ombrage. Cette surveillance inquiète l’irritait et l’inclinait chaque jour davantage vers la France. Il aimait à s’entourer de Français : nous étions pour lui les plus sûrs alliés, parce qu’il voyait en nous les ennemis naturels et irréconciliables de l’Angleterre. Grâce à ces tendances, Marseille avait à ses portes plus qu’un marché étranger ; elle avait en quelque sorte une colonie française.

Les souvenirs de la campagne de 1797 ne nous étaient pas défavorables en Égypte ; ils nuisaient à notre influence en Syrie. Là on ne nous avait connus que par l’invasion, l’insuccès et une retraite désastreuse. Djezzar-Pacha avait fait embarquer à cette époque tous les Français qu’il avait trouvés dans son pachalick. Son successeur Soliman répondait à M. de Moncabrié, qui se plaignait amèrement d’une insulte faite quelques mois auparavant par le bey de Jaffa, le lieutenant de Soliman, au capitaine Dumanoir : « Ce qu’il y a de mieux à faire, c’est d’oublier le passé ; espérons que tout ira mieux à l’avenir. » Nous avions eu des maisons de commerce à Jaffa, à Saint-Jean-d’Acre, à Seyde, à Tripoli, à Latakié, à Alexandrette. Tous ces établissemens avaient disparu ; il ne restait pas trace des anciennes relations. A l’exemple de Méhémet-Ali, le nouveau pacha d’Acre s’était emparé de tout le commerce de la province ; mais, loin d’encourager, comme le gouverneur de l’Égypte, nos compatriotes, Soliman par ses procédés contribuait beaucoup à les éloigner de ces parages.

La première tournée accomplie par nos navires dans les mers du Levant ne servit pas seulement à y établir d’une façon précise le bilan de nos opérations commerciales ; elle nous apprit aussi où en étaient les affaires de l’empire ottoman. L’aveuglement, l’impuissance et l’apathie des Turcs faisaient pressentir une crise très prochaine. L’exemple de la Servie ne pouvait manquer d’être tôt ou tard contagieux pour la Grèce. La force de la race hellénique résidait dans deux ou trois provinces, le Péloponèse, les îles, la Grèce continentale. C’est là que 8 ou 900,000 habitans, sourdement travaillés par de mystérieux agitateurs, s’apprêtaient en silence à secouer le joug d’un état qui comptait encore 19 millions de sujets. D’un autre côté, la vitalité de la race ottomane qui depuis un quart de siècle semblait s’être retirée chez les Albanais et chez les Bosniaques venait de reparaître avec un certain éclat en Égypte. Il y