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tron. Un tel centre de production, si bien placé à notre portée, était fait pour stimuler nos entreprises. La valeur totale des échanges entre la France et l’Égypte n’avait jamais dépassé 6 millions ; elle était descendue depuis la révolution à 600,000 francs. Dans les conditions nouvelles que faisait au pays un pouvoir énergique, les espérances qu’une enquête attentive avait laissé entrevoir ne devaient pas tarder à paraître trop modestes.

Né à Kavala en Roumélie vers la fin de l’année 1773, Méhémet-Ali était un soldat de fortune. L’empire ottoman est la terre classique de ces élévations subites. Il n’y faudrait pas prononcer le mot de parvenu, on risquerait de n’être pas compris. Dans un état qui a pris pour règle cette maxime philosophique : « quand Dieu donne un emploi, il donne en même temps la capacité nécessaire pour le remplir, » on peut s’endormir porte-pipe et se réveiller le lendemain général. Méhémet-Ali était arrivé en Égypte au moment de l’occupation française. Ce n’était encore qu’un vaillant arnaute ; il fit son chemin de révolte en révolte. En 1804, il était déjà assez fort pour lutter contre le représentant du sultan, Kosrew-Pacha. En 1806, la Porte le confirmait dans le pachalick de l’Égypte. Le massacre des mamelouks avait en 1811 consolidé son autorité. Il venait de raffermir à son tour le pouvoir du sultan Mahmoud en lui renvoyant les clés de La Mecque, qu’il avait reprises sur les Wahabites. Maître absolu dans une province où n’avait jusqu’alors régné que l’anarchie, il y disposait de tout, des cultures, des fabriques, des transactions. Il mettait le prix qu’il voulait aux marchandises, accordait à qui lui plaisait le privilège de les exporter. Il avait établi des maisons de commerce à Malte, à Livourne, en Angleterre ; il projetait d’en établir une à Marseille. L’exploitation de l’Égypte lui rapportait environ 70 millions de francs. C’était le double de ce qu’en arrachaient les mamelouks, et presque le triple de ce qu’en avaient jamais tiré les Français. Les dépenses, y compris l’entretien d’une armée de 30,000 hommes, recrutée principalement en Albanie et en Macédoine, ne dépassaient pas 40 millions. On voit qu’il restait encore au pacha d’amples ressources pour corrompre par ses largesses tous les alentours du sérail.

Turc fin et délié, Méhémet-Ali avait réussi à intéresser la cupidité même du sultan à la prospérité de l’Égypte. Ses libéralités fastueuses faisaient presque oublier à ce maître jaloux son indépendance. Les vues de Méhémet-Ali ne manquaient pas d’ailleurs d’une certaine grandeur. Il songeait dès lors à réaliser quelques-uns des projets conçus par les Français. La barre de Rosette retenait souvent pendant des mois entiers à l’embouchure du Nil les djermes chargées des produits de la Haute-Égypte. Le pacha voulait faire réparer et rendre navigable le canal qui reliait autrefois