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bitudes de pillage. On les verrait partout semant le désordre, donnant le signal de la débandade et l’exemple de l’indiscipline, déshonorant la cause qu’abandonnés à eux-mêmes ils auraient été impuissans à servir. Ces compromettans ouvriers ont été l’écueil de plus d’une grande œuvre ; mais les crimes de quelques croiseurs isolés n’empêcheront pas la postérité de rendre hommage à l’habileté, à la ténacité déployées par la marine grecque pendant la guerre de l’indépendance. En 1790, l’héroïsme de Lambro Canziani n’avait pas suffi pour racheter les excès de ses compagnons. De 1821 à 1827, il y a eu plus de dévoûment et de sacrifices qu’il n’en eût fallu pour étouffer la voix des détracteurs de la Grèce.

III.

Le comte de Moncabrié, capitaine de vaisseau, fut le premier officier que, sous la restauration, on vit investi du commandement en chef de la station navale du Levant. Dès le mois d’avril 1816, il avait été chargé d’aller embarquer à Bastia, sur la frégate la Galatée, qu’il montait, M. le marquis de Rivière, relevé de ses fonctions de gouverneur de la Corse et nommé ambassadeur du roi à Constantinople. Arrivé dans le Levant, le marquis de Rivière passa sur la corvette l’Émulation, que commandait à cette époque le lieutenant de vaisseau Regnault de La Susse. L’Émulation, déguisée en navire de commerce, franchit les Dardanelles, défila tranquillement sous les murs du sérail, et ne s’arrêta que devant les quais de Therapia. Le comte de Moncabrié et plusieurs officiers de la station avaient également pris passage sur la corvette. Ils firent partie du cortège qui accompagna l’ambassadeur lorsqu’il se présenta devant le sultan. Le marquis de Rivière avait voulu donner à la cérémonie de son investiture l’éclat des anciens jours. Les puérilités de l’étiquette ne sont pas à dédaigner avec les Orientaux. Le divan pouvait être tenté de croire notre puissance à jamais anéantie. Il n’en était que plus essentiel de tenir notre drapeau d’une main ferme et d’élever nos prétentions à la hauteur que leur assignait le rang où nous avait maintenus le consentement unanime de l’Europe. Si cette attitude avait ses avantages quand nous nous trouvions en présence du sultan, elle nous était commandée bien plus impérieusement encore vis-à-vis des pachas qui, sur divers points du territoire de l’empire, s’étaient arrogé le monopole absolu du commerce. En Égypte et en Syrie, la navigation étrangère se trouvait à la discrétion de gouverneurs devenus de fait presque indépendans. Apprendre à ces dispensateurs de tous les chargemens et de tous les privilèges qu’il fallait encore compter avec nous était sans contredit le meilleur moyen de servir nos intérêts commerciaux.