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d’affaiblir chez les catholiques le sentiment de leurs devoirs envers le sultan. La souveraineté du grand-seigneur devait rester intacte et dominer dans toute sa plénitude les débats dont il nous était permis d’entretenir le divan. Il y avait donc dans cette ingérence un dangereux écueil à éviter, un écueil contre lequel on ne pouvait trop mettre en garde nos agens politiques et nos officiers.

Les Latins de l’Archipel étaient fort portés à exagérer les effets de notre protection. Ce n’était plus assez pour eux de porter le nom et l’habit de Francs, qu’ils avaient hérités de leurs ancêtres vénitiens ou génois ; pour se soustraire plus sûrement encore au paiement des contributions sous lesquelles gémissaient leurs compatriotes orthodoxes, ils prétendaient arborer la cocarde blanche. Nous avions le devoir de tempérer cet excès d’enthousiasme, et pourtant jamais plus touchant hommage n’avait été rendu à notre grandeur passée. Longtemps, aux yeux des Grecs, le véritable souverain de toutes les nations qui parlaient la langue franque avait été le puissant monarque résidant à Paris. Les croisés aux mains desquels étaient tombés Chypre et Jérusalem, les comtes et les princes qui s’étaient partagé les dépouilles des empereurs de Byzance, les chevaliers qui avaient soutenu avec un si merveilleux courage les deux sièges de Rhodes, ceux qui montaient encore à la fin du XVIIIe siècle les galères ou les vaisseaux de Malte, les capitaines marchands de Cette et de Marseille, tous ces preux d’un siècle légendaire, tous ces trafiquans d’un autre âge étaient confondus dans les souvenirs des habitans du Levant sous une dénomination générale. Ils étaient Français au même titre que les compagnons de Baudouin, comte de Flandres, en vertu de la même illusion que les Anglais et les Écossais qui suivaient la bannière de Richard d’Angleterre. La position prépondérante qu’avait prise à Constantinople notre ambassadeur depuis le temps de François Ier, l’éclat incomparable qu’avait jeté le règne de Louis XIV, l’activité de notre marine marchande pendant toute la durée du XVIIIe siècle, le séjour prolongé de notre armée en Égypte, le bruit de nos victoires, le retentissement inusité de nos désastres, rien n’avait manqué pour confirmer chez les Grecs le sentiment de notre importance. La superbe assurance avec laquelle le nouveau chef de ce peuple vaincu reprenait sa place dans la famille des rois et y maintenait les prérogatives dues à l’ancienneté de sa race contribuait également à frapper les esprits. Notre pavillon ne pouvait se montrer nulle part sans y exciter des transports. On le saluait des mêmes acclamations, à Tine, qui avait été autrefois dans l’Archipel le siège de la domination vénitienne, à Naxie, qui était restée pendant trois cent soixante ans le centre des possessions ducales, à