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dra peut offrir. Dans cet Orient frappé de léthargie, il fallait s’attendre à retrouver les choses de la mer en l’état où les institutions et l’art naval du XVIIe siècle les avaient laissées. Ce qu’il y a de piquant, c’est de voir la science nous ramener par un long détour au mode d’attaque pratiqué il y a cinquante ans par les Hydriotes, il y a deux cents ans par les Français, les Anglais et les Hollandais. Nous avons cuirassé nos navires et rendu de nouveau l’artillerie sans effet ; nous en reviendrons nécessairement à l’emploi des moyens qui suppléaient autrefois le canon. Nos brûlots s’appelleront des bâtimens-torpilles.

Nous verrons donc encore des armées navales s’observer, se menacer longtemps avant de se décider à se joindre, puis tout à coup se ruer l’une sur l’autre, se traverser, se heurter, se confondre. En avant seront rangés les navires de haut bord, ceux qui seront de taille à combattre par le fer et par le choc, qui auront été construits pour briser ou pour écarter de leur proue les obstacles. Cette première ligne en couvrira et en conduira au milieu de la mêlée une seconde. Dans celle-ci se tiendront, dissimulés jusqu’au moment propice, les avisos munis de cônes explosifs, les chaloupes converties en engins destructeurs. Plus d’une de ces guêpes devra laisser son dard et sa vie dans la plaie. Les batailles futures exigeront des dévoûmens antiques. Peut-être alors ne sera-t-il pas inutile d’étudier de plus près les mouvemens par lesquels les grands amiraux du XVIe et du XVIIe siècle préparaient l’action de leurs brûlots, évitant de les envoyer à des sacrifices inutiles, les protégeant jusqu’au dernier moment et ne leur donnant à détruire que des vaisseaux déjà ébranlés. C’est alors aussi qu’on verra revivre plus d’un nom demeuré injustement obscur. On voudra savoir quels étaient ces capitaines à qui était réservée la plus rude besogne, d’où venaient ces enfans perdus dont le dévoûment n’avait part qu’à la peine sans pouvoir jamais aspirer à l’honneur, héros plébéiens qu’on retrouve dans tous nos combats jusqu’à la fin du règne de Louis XIV, et qui, par ordre de Richelieu, recevaient des mains de l’archevêque de Sourdis des chaînes d’or pour avoir incendié dans la baie de Guetarie toute une flotte espagnole. La race de ces vaillans hommes ne peut être éteinte parmi nous. Aux plus rares courages cependant il ne faut pas demander l’impossible. Il est donc utile de bien préciser les hauts faits que l’on veut donner pour exemples, de rechercher soigneusement dans quelles conditions ces heureux traits d’audace ont été accomplis, et quelles ingénieuses précautions en ont assuré le succès. C’est à ce point de vue surtout que les exploits des marins grecs ont un droit spécial à notre attention.