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tait maintenant pour un succès cruellement dérisoire dont le prix ou la rançon était le désastre de Bourbaki.

Au moment où se livraient ces combats de Dijon, les événemens se pressaient en effet avec une étrange rapidité, et ici toutes les dates prennent une saisissante importance. Le 20 janvier, Manteuffel est sur la Saône, à Gray ; le 21, il pousse son année vers le Doubs, le iie corps dans la direction de Dôle, le viie corps vers Dampierre dans la direction de Besançon ; le 22, on tient les deux rives du Doubs ; le 23, on arrive à Quingey, on se jette sur les routes d’Arbois, de Poligny. Déjà la ligne directe de Besançon à Lyon est coupée. En même temps Werder, redescendu des hauteurs de la Lisaine à Villersexel, se rapproche du haut Doubs, menace Baume-les-Dames, Clerval, et commence à fouiller au-delà de Montbéliard les défilés du Lomont, de sorte que Bourbaki, en arrivant sous Besançon le 22, se trouvait dès cette heure même dans la condition la plus critique. Que pouvait-il faire ? Sa première pensée avait été naturellement de se mettre en défense, de disposer son armée de manière à maintenir la sûreté de ses positions. Le 24e corps restait vers Pont-de-Roide pour défendre les défilés du Lomont. C’était un point essentiel à garder : si on le perdait, on était débordé et tourné par les plateaux supérieurs du Jura. Le 18e, le 20e corps, la division Cremer, se maintenaient d’abord en avant du Doubs, sur la rive droite, pour repasser bientôt sur la rive gauche. Le 15e corps, placé au premier moment à Baume-les-Dames, ne tardait point à être ramené au sud de Besançon, sur la route de Pontarlier ; mais cette armée qui arrivait démoralisée, épuisée de souffrances et de combats malheureux, il fallait la remettre un peu en ordre, la réorganiser à demi, avant de pouvoir lui demander une action sérieuse, et en la réorganisant il fallait la nourrir. Là éclatait pour le général en chef une déception cruelle. Il avait demandé qu’on accumulât les approvisionnemens à Besançon, on le lui avait promis, et l’intendant-général Friant venait lui déclarer qu’il y avait sept jours de vivres en tout ! Un convoi qu’on attendait était en ce moment même surpris par l’ennemi à Dôle. D’heure en heure se serrait autour de Bourbaki le réseau qui menaçait de l’étouffer.

C’était assurément une situation poignante d’où l’on ne pouvait sortir que par une retraite opportune ; mais de quel côté se diriger ? par où pouvait-on se frayer un passage entre Werder, qui descendait du nord, et Manteuffel, qui se hâtait au sud, qui avait déjà passé le Doubs ? Bourbaki ne pouvait plus se méprendre sur l’étendue et la gravité du péril qui le pressait, qui à chaque instant se révélait à lui sous les formes les plus redoutables. Seul il aurait eu le droit de se plaindre, puisque de tout ce qu’on lui avait promis,