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teuffel s’était tout d’abord étrangement engagé dans cette marche audacieuse qui l’avait porté sur la Saône. Il aurait suffi de quelques milliers d’hommes résolus, occupant quelques positions bien choisies dans les montagnes, aux principaux défilés, pour lui barrer le chemin, pour le ralentir tout au moins, pour inquiéter ses convois. La vérité est qu’il n’avait rencontré aucune résistance !

Pendant ce temps, au moment même où Bourbaki se battait trois jours durant devant Belfort, et où Manteuffel cheminait tranquillement à travers les montagnes de la Côte-d’Or pour aller écraser l’armée de l’est, que faisait Garibaldi à Dijon ? Il se plaignait toujours, ou l’on se plaignait pour lui. On se querellait avec le général Pélissier, comme on était disposé à se quereller avec tous les généraux français, pour des rivalités de commandement. On vivait à Dijon, faisant quelques reconnaissances qui ne servaient à rien. Ce n’était pas qu’on ne fût averti. Les avis arrivaient de tous côtés, des maires, des employés du télégraphe, des fugitifs qui se sauvaient, des habitans notables du pays, qui voyaient passer l’armée allemande. L’auteur des Volontaires du génie dans l’est, M. Jules Garnier, qui s’était avancé de son propre mouvement jusqu’à Messigny, au nord de Dijon, avait été stupéfait de tomber, à 10 kilomètres de la ville, sur des éclaireurs prussiens avec lesquels on échangeait des coups de fusil, et il s’était hâté de prévenir l’état-major de Garibaldi. Le lendemain, une partie de l’armée des Vosges allait sur deux colonnes faire une promenade militaire dans ces parages ; mais on ne poussait pas la marche bien loin, on ne cherchait pas sérieusement l’ennemi, et avant le soir on reprenait triomphalement le chemin de Dijon au bruit des musiques jouant la Marseillaise, tandis que des hauteurs de Savigny-le-Sec les éclaireurs allemands regardaient en riant cette brillante opération. Bref, on ne faisait rien en se donnant toujours l’air de faire beaucoup, et il fallait bien que ce fût choquant pour que de Bordeaux on écrivît assez vertement au chef d’état-major de Garibaldi : « Je ne comprends pas les incessantes questions que vous me posez pour savoir qui commande, non plus que les difficultés qui surgissent toujours au moment où, dites-vous, vous allez entreprendre quelque chose… Vous êtes le seul qui invoquez sans cesse des difficultés et des conflits pour justifier sans doute votre inaction. Je ne vous cache pas que le gouvernement est fort peu satisfait de ce qui vient de se passer. Vous n’avez donné à l’armée de Bourbaki aucun appui, et votre présence à Dijon a été absolument sans résultat pour la marche de l’ennemi de l’ouest a l’est. En résumé, moins d’explications et plus d’actes, voilà ce qu’on vous demande. »

Tout était malheureusement illusion et contre-temps dans l’action de cette singulière armée, tout, jusqu’aux combats fort sérieux