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vivres. Les Allemands ne s’y étaient pas trompés, ils s’expliquaient bien mieux que les Français la lenteur de la marche de Bourbaki, et ils en profitaient naturellement. « …Quant à être devancé par Bourbaki devant Belfort, dit le major Blume, c’était un cas dont il était à peine nécessaire de se préoccuper. Les nombreux prisonniers faits dans ces dernières rencontres étaient si mal nourris, si pauvrement équipés, qu’on n’avait pas à redouter d’un tel adversaire des mouvemens rapides de masses très concentrées, surtout dans cette saison, où le froid sévissait avec une grande rigueur… » Et c’est ainsi que Bourbaki, après avoir été conduit par les circonstances à se diriger sur la Lisaine, ne pouvait y arriver que le 14 janvier au soir. On était désormais en présence. Le nœud de la situation allait être tranché dans un choc décisif. Cette nuit du 14 au 15 janvier, nuit froide, glaciale, — il y eut jusqu’à 15 degrés Réaumur, — c’était la veillée des armes précédant une bataille de trois jours, cet ensemble d’engagemens qui a gardé le nom de bataille d’Héricourt.

Les deux armées n’étaient séparées que par la vallée assez étroite où coule le torrent de la Lisaine, descendant des Vosges pour aller se perdre vers Montbéliard dans l’Allaine, qui à son tour va se jeter dans le Doubs. Sur la rive gauche, les Allemands occupaient une série de positions habilement liées, protégées d’abord par la Lisaine, échelonnées de Montbéliard à Chagey, à Chennebier, jusqu’à Frahier sur la route de Lure à Belfort. C’était une ligne de 12 ou 15 kilomètres dont Héricourt représentait à peu près le centre. Le général de Werder avait au moins 45,000 hommes pour défendre ces positions, assez rapprochées de Belfort pour qu’il y eût un échange permanent de secours entre l’armée d’opérations et le corps d’investissement, pour qu’on pût même détacher momentanément une partie de l’artillerie de siège, qu’on employait à fortifier les points principaux de la ligne de défense. Les Allemands n’avaient pas perdu ces derniers jours. Malgré tout, Werder livré à lui-même, ne pouvant compter encore sur les secours qu’on lui promettait, Werder n’était pas sans inquiétude, si bien que le 14 au soir encore il demandait par le télégraphe à Versailles s’il devait accepter le combat devant Belfort. On lui répondait aussitôt d’attendre l’attaque, de tenir ferme dans les fortes positions qu’il occupait, qu’il serait bientôt secouru. Werder ne reçut cet ordre que lorsqu’il était déjà engagé. L’eût-il voulu du reste, il ne pouvait guère éviter le choc ; l’armée française qu’il avait devant lui ne pouvait en effet rester inactive. Cette armée était sur la rive droite de la Lisaine, occupant, elle aussi, de bonnes positions, mais n’ayant pas seulement à s’y défendre, ayant au contraire à enlever celles de l’ennemi. — Le 24e corps et la partie du 15e corps qui arrivait se rapprochaient de