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nement, transporté à Bordeaux, la pensée d’une grande diversion, d’une tentative suprême pour aller chercher dans l’est la délivrance de Paris, en commençant par la délivrance de cette région de la France elle-même, qui ne pouvait se délivrer toute seule.

III.

La faute n’était pas de songer à cette diversion, d’entreprendre une expédition véritable dans l’est. La faute ou le malheur était de réaliser cette idée trop tard et dans des conditions que les progrès mêmes de l’invasion aussi bien que les rigueurs d’un hiver exceptionnel rendaient plus difficiles. La faute était d’avoir perdu deux mois en efforts incohérens, en opérations décousues qui n’aboutissaient qu’à une déperdition de forces, à une résistance disséminée et impuissante. Ces deux mois qu’on pouvait se donner, puisqu’on n’ignorait point que Paris tiendrait plus longtemps, ces deux mois auraient pu assurément être mieux utilisés pour la défense de l’est et pour la défense du pays tout entier. Il suffisait de ne pas les perdre en agitations vaines, de savoir les employer avec un peu de sang-froid, sans trop de précipitation, à organiser, à concentrer les forces qui restaient à la France, et ces forces étaient encore immenses. Je ne parle plus des autres points où aurait pu s’accomplir cette œuvre de prévoyance active et d’ordre qui eût donné en quelques semaines au pays des armées nouvelles capables de reprendre sérieusement la lutte en combinant leur action : dans l’est, Besançon pouvait devenir le centre naturel de notre réorganisation militaire.

Précisons cette situation. L’essentiel était, non de faire une guerre d’illusions et de mirages, non de jeter de tous côtés des forces qui ne pouvaient arrêter l’ennemi, mais de masser, de concentrer ces forces sous Besançon, dans une sorte de camp retranché où les Prussiens ne seraient point allés les chercher. Par sa position, en effet, Besançon est le point central d’une ligne de défense facilement inattaquable. Au nord, la place est protégée par la chaîne du Lomont, couverte elle-même par le Doubs qui se replie de Pont-de-Roide à Baume-les-Dames en passant par Vougeaucourt, Montbéliard, Clerval, et en formant comme un triangle irrégulier. Il suffit de garder un peu fortement du côté de Montbéliard quelques passages qui conduisent aux plateaux, et par où l’on pourrait être tourné. Au sud Besançon a pour défense la vallée du Doubs, la vallée de la Loue, la forêt de Chaux, qui est dans l’angle des deux rivières, les escarpemens prolongés du Jura, Salins. En occupant ces positions, faciles à défendre, on tient en réalité Dôle, Mouchard, les points de jonction des chemins de fer qui vont vers Bourg, Lyon et