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seulement, avec ce 20e corps qui s’éloignait de Chagny l’est perdait d’un seul coup le peu qui lui restait de force organisée, d’armée active ; c’était une trentaine de mille hommes de moins devant les soldats de Werder, de sorte que pour le moment, en présence de l’invasion étrangère, la défense de ces régions allait se concentrer à Belfort, au camp de Garibaldi, qu’on ramenait à Autun pour couvrir le Morvan en menaçant Dijon, et, si l’on veut, au camp d’un jeune officier transformé en général, le capitaine Cremer, qu’on plaçait sur la ligne de Lyon pour tenir tête à l’ennemi en se concertant avec le vieux condottiere italien.

II.

Belfort est la sentinelle d’une des entrées de la France, la place maîtresse de la fameuse trouée qui s’ouvre entre les Vosges et le Jura, et, si les Allemands n’avaient pas encore tourné leurs efforts de ce côté, c’est qu’ils avaient toutes les autres entrées. Il fallait l’extension indéfinie que semblait prendre l’invasion ou une pensée préconçue de conquête pour que la forteresse des Vosges, placée assez loin de la ligne principale des opérations allemandes, en vînt, elle aussi, à subir un siège en règle. Elle avait certainement pour la défense française une importance exceptionnelle au point de vue militaire autant qu’au point de vue politique. Elle n’était pas seulement la gardienne de l’est, elle pouvait être un point d’appui pour toutes les opérations qu’on voudrait entreprendre ; la mettre à l’abri d’une catastrophe était une nécessité de prévoyance. On ne s’en était pas souvenu assez ou du moins on n’y avait pas songé avec assez de suite depuis quelques années. Il en était de Belfort comme de Metz, les travaux qui devaient doubler la force de la place se trouvaient encore inachevés ; mais enfin depuis deux mois on s’était mis à l’œuvre. Des officiers dévoués avaient mis toute leur activité à réunir des ouvriers, à pousser les travaux. Approvisionnemens, munitions, tout avait afflué, si bien qu’en fin de compte, au moment où commençait le siège, il y avait tous les élémens d’une longue et efficace résistance. Le commandement supérieur avait passé dans ces deux mois du général de Chargère au colonel d’artillerie Crouzat, récemment appelé à l’armée de l’est ; il restait définitivement au chef de bataillon du génie Denfert-Rochereau, qui venait d’être nommé lieutenant-colonel, gouverneur de Belfort. Le colonel Denfert était un officier distingué, connaissant bien la place confiée à son patriotisme, et qui a eu la fortune d’attacher son nom à la plus honorable défense. Il a eu malheureusement la singulière inspiration de se laisser attribuer une sorte de rôle ou de privilège