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même enfin devait s’établir solidement à Dijon, avec la mission de surveiller le sud, de marcher sur les rassemblemens français qu’il verrait se former ou s’agiter autour de lui, et de protéger en même temps par Tonnerre, par Châtillon-sur-Seine, la ligne de communication de l’armée du prince Frédéric-Charles, qui se dirigeait en toute hâte sur la Loire. L’est tout entier se trouvait ainsi enlacé dans ce réseau de forces ennemies.

Que faisait-on pour arrêter les progrès de cette invasion étrangère, qui gagnait de proche en proche ? De quels moyens pouvait-on disposer ? C’était une situation difficile assurément, aggravée par la confusion et la désorganisation qui régnaient partout. L’armée de l’est, rejetée sous Besançon, existait à peine. Ce qu’il y avait de plus étrange, c’est que, pour ajouter aux embarras du moment, on se livrait à cette guerre funeste des animosités de partis, des récriminations, des accusations, en rejetant tout sur le général Cambriels, qu’on pressait de reprendre la campagne et qui ne le pouvait pas. M. Gambetta, qui venait de débarquer à Tours et qui s’était rendu presque aussitôt à Besançon, croyant probablement tout relever à sa voix, — M. Gambetta tombait dans ce tourbillon d’irritations ameutées contre le chef de l’armée des Vosges, et en définitive il voyait beaucoup de misères, il ne faisait pas plus que les autres. Il condamnait le général Cambriels, puisqu’il provoquait sa démission, et il lui donnait raison, puisque après cette démission on ne reprenait pas plus l’offensive qu’on ne l’avait prise avant.

Le fait est qu’en peu de jours cette malheureuse armée changeait trois fois de chef : elle passait du général Cambriels au général Michel, qu’il eût bien mieux valu laisser sur la Loire, où il commandait supérieurement une division de cavalerie, — du général Michel au général Crouzat, qu’on tirait de Belfort, où il était colonel d’artillerie. Au milieu de toutes ces transformations, qui coïncidaient avec l’arrivée des Allemands à Dijon, on la ramenait subitement de Besançon à Chagny, parce qu’on craignait les incursions de l’ennemi sur la ligne de Lyon. Ce n’est pas tout : à Chagny, elle subissait une nouvelle métamorphose, elle devenait le 20e corps de l’armée française, — ce 20e corps que le gouvernement de Tours appelait en ce moment même sur la Loire, à Gien, pour coopérer à la réalisation de ses grandes conceptions stratégiques. Le gouvernement avait toutes ses pensées fixées sur la Loire, surtout après Coulmiers ; il avait ses raisons, je le veux. Il n’avait pas pris cette résolution sans en avoir « pesé les conséquences, » assure M. de Freycinet. Il croyait que la partie décisive devait s’engager autour d’Orléans, et qu’un succès préparé sur la Loire par de puissantes concentrations réagirait sur l’ensemble de nos affaires militaires, c’est possible ;