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genre, bien constaté, suffit à prouver que l’architecture des oiseaux est susceptible de progrès, ce qui semble exclure l’hypothèse d’un instinct aveugle. D’un autre côté, les imperfections manifestes des nids de quelques espèces, la maladresse, pour ne pas dire la sottise, dont font preuve certains oiseaux, sont également incompatibles avec la théorie de l’instinct infaillible.

En définitive, la nidification des oiseaux offre des phénomènes qui, si on les rapproche des procédés de construction des hommes primitifs, ne révèlent aucune différence essentielle dans la nature des facultés employées. Il ne s’agit pas ici d’idées innées, de tendances aveugles et irrésistibles : l’oiseau apprend à faire son nid ; chaque espèce a sa tradition qui peut se modifier sous l’influence des circonstances extérieures. Quant à l’origine première de ces procédés de construction, on aura moins de peine à la comprendre sans l’intervention d’un instinct spécial en constatant qu’au fond ces procédés sont plus simples qu’ils ne le paraissent à première vue. Il ne faut pas en effet s’exagérer le degré d’habileté nécessaire à un oiseau pour édifier tel nid qui nous semble une petite merveille à cause de la petitesse des dimensions. Ce nid a été d’abord ébauché grossièrement, branche par branche, fibre par fibre ; ensuite le petit architecte a bouché les fentes avec des matériaux qu’il y introduisait sans difficulté à l’aide de ses pattes souples et de son bec effilé. Cela nous charme ; mais le grossier bousillage d’une hutte de paysan semblerait tout aussi délicat aux yeux d’un géant ; ce sont des effets de perspective. Levaillant a observé la manière de faire d’un oiseau africain qui procède encore plus sommairement : il entasse de la mousse et des touffes de coton, piétine la masse jusqu’à la convertir en une sorte de feutre, puis la creuse au milieu et ajuste les bords. Il arrive ainsi à rendre la surface intérieure du nid aussi lisse et compacte qu’une pièce d’étoffe. Pourquoi n’admettrait-on pas que ce procédé est dû à un inventeur dont la découverte, a profité à sa progéniture, qui le perfectionnée et transmise aux. générations suivantes, comme nous l’admettons pour les découvertes dont s’enorgueillissent les hommes ? Lorsqu’on étudie les origines de l’architecture, on rencontre plus d’un type qui séduit l’œil, mais qui satisfait mal aux besoins pour lesquels il a été créé, et qui trahit moins de prévoyance raisonnée que les nids que se fabriquent certains oiseaux.


Le directeur-gérant, C. BDLOZ.