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charpente. si l’on avait discuté d’avance ce que valent les obstacles improvisés, on eût su ce qu’il fallait conserver et ce qu’il était utile de détruire. En définitive, le meilleur moyen d’empêcher que l’ennemi ne se serve des voies ferrées serait de les couvrir par des forteresses de distance en distance. Certaines personnes prétendent, avec assez de vraisemblance, que ces ouvrages de défense devraient être éloignés des grandes villes, car une ville fortifiée que l’ennemi bombarde est incapable d’une longue résistance, tandis qu’une forteresse, bien située et bien approvisionnée, avec une garnison militaire sans mélange de population civile, ne capitule qu’à la dernière extrémité. C’est ainsi que Bitche a suffi pour neutraliser la ligne de Sarreguemines à Niederbronn jusqu’à la fin de la guerre, tandis que Toul, Strasbourg, Metz même, ont succombé dès les premiers mois.

L’histoire militaire des chemins de fer, que M. Jacqmin vient d’écrire, est intéressante à double titre, d’abord parce qu’elle indique en quel sens doivent être dirigées les réformes, et aussi parce qu’elle complète en un certain sens les récits que nous avons déjà sur ces événemens. On y voit à chaque page combien fut imprévoyante et routinière l’administration militaire des dernières années de l’empire, qui tenait pour certain que les chemins de fer ne sont pas faits pour les soldats. C’était un vieil axiome que le soldat doit faire toutes ses étapes à pied, par le motif qu’il a besoin de s’exercer à la marche, et ceux qui soutenaient cette opinion ne se doutaient pas que l’administration, elle aussi, a besoin de s’exercer aux mouvemens rapides que comporte la stratégie moderne. On commit donc d’énormes erreurs lorsque le moment vint d’user des chemins de fer autrement que pour le transport d’une demi-douzaine de canons ou d’un bataillon. Le détail de ce qui s’est passé sur le seul réseau de l’Est le démontre suffisamment. Les fautes s’accumulent ; ne citons que les plus importantes.

Le 15 juillet 1870, la compagnie de l’Est était requise de mettre tous ses moyens de transport à la disposition du ministre de la guerre. Vingt-quatre heures après partaient de Paris et de Châlons les premiers trains militaires ; déjà se produisait un premier mécompte. La compagnie préparait ses trains pour des régimens complets, ils arrivaient avec moitié de leur effectif. Trop pressé d’envoyer des troupes à la frontière, l’état-major-général expédiait ce qu’il avait sous la main sans attendre les hommes et les bagages en retard. Il fallait partir avec des wagons à demi chargés ou bien mélanger des soldats de corps différens. Cet inconvénient ne fut pas le seul. Dès les premiers jours, les hommes restés en arrière se présentaient en désordre dans toutes les gares, demandant au premier venu où était leur régiment, affranchis de la surveillance de leurs supérieurs, nourris au hasard dans des buffets improvisés. C’étaient les isolés, masse flottante et indisciplinable où se rencontraient, pêle-mêle