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pratique. La mort prématurée du maréchal Niel fut sous ce rapport, comme à beaucoup d’autres points de vue, un malheur pour la France. Les études, les projets de règlemens, s’enfouirent ignorés dans les cartons du ministère. Or de la discussion ouverte à cette époque étaient sortis deux ou trois principes généraux très simples que M. Jacqmin, avec l’autorité de l’expérience acquise par les événemens, s’efforce aujourd’hui de remettre en lumière. Ainsi d’abord un chemin de fer est un puissant instrument de transport dont le mécanisme très complexe est et doit être organisé en vue des besoins ordinaires du commerce. Il en résulte que le plus habile général ne sait pas s’en servir, et que l’ingénieur qui en dirige l’exploitation ignore absolument les besoins d’une armée. Comment remédier à cette incompatibilité apparente ? Le programme français de 1869 et les règlemens de l’armée allemande y pourvoient de la même façon, c’est-à-dire en instituant pour chaque réseau une commission mixte, composée d’un officier et d’un ingénieur, qui reçoivent ensemble les réquisitions de transport et qui les font exécuter d’un commun accord, en temps et lieu opportun, de telle sorte que les agens secondaires de la compagnie ne sont pas exposés à des conflits avec l’autorité militaire.

Ce qui vient en second lieu paraîtra peut-être très élémentaire, et cependant aucune règle ne fut plus souvent violée au cours des derniers événemens. Un chemin de fer ne conserve son efficacité qu’à la condition de ne pas être encombré, soit sur les voies principales, soit dans les gares. Si par exemple on remplit une gare de wagons non déchargés, comme cela se vit à Metz aux premiers jours de la campagne, ou si l’on arrête en pleine voie les trains de troupes, faute de savoir où les diriger au sortir des wagons, ce qui s’est fait plus d’une fois, on interrompt le mouvement de tous les autres trains, et l’on immobilise un matériel de wagons et de locomotives dont le besoin se fait sentir ailleurs. La règle établie pour le commerce s’applique donc aux opérations militaires avec encore plus de rigueur, et cette règle est d’évacuer les gares et les voies dans le plus bref délai après l’arrivée.

Enfin les chemins de fer doivent être protégés contre les atteintes de l’ennemi ; il est nécessaire de les mettre hors de service, en cas d’invasion, par la destruction judicieuse de certains ouvrages d’art. Sur cette question encore, il est essentiel que les ingénieurs et les officiers donnent ensemble leur avis. Après la bataille de Reichshofen, lorsque l’armée de Mac-Mahon se retirait de l’autre côté des Vosges, on négligea d’effondrer le tunnel de Saverne, ce qui aurait intercepté la circulation pendant plusieurs semaines et peut-être plusieurs mois. Vingt jours plus tard, l’un des derniers ordres donnés par le gouvernement impérial prescrivait de détruire tous les ponts sans exception, bien que la plupart pussent être remplacés en quelques jours par des estacades en