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est là, et il s’agit d’être ou de ne pas être. Cela devrait amener à faire bien des réflexions. »

Oui, M. le duc de Richelieu avait raison, dans des situations comme celle où la France se trouvait en 1816 et comme celle où elle se trouve aujourd’hui, tout est là : il s’agit de « faire des réflexions. » Elles s’imposent plus que jamais à ceux qui prennent l’initiative de ces dangereux conflits, au risque de subordonner les plus précieux intérêts de patriotisme aux impatiences égoïstes de l’esprit de parti. La crise est pour le moment écartée sans doute, puisque, dans la lutte qui vient de se dénouer à Versailles, la droite en rassemblant toutes ses forces n’a pu arriver à la victoire. L’imprévu est du moins conjuré dans ce qu’il pouvait avoir de plus redoutable. La situation, nous en convenons, ne garde pas moins sa gravité. Elle n’est point cependant, si on le veut bien, au-dessus des efforts de prévoyance et de conciliation qui seront certainement tentés pour la dégager de ce qu’elle a de plus périlleux. Pour le gouvernement, à vrai dire, la voie est toute tracée. Il n’a qu’à se maintenir sur le terrain où il s’est établi. Il a montré dans cette crise un esprit de modération qui aurait dû désarmer la commission Kerdrel, et qui à défaut de ce succès n’a pu que produire la plus favorable impression sur le pays. La position du gouvernement n’aurait-elle pas dû être fortifiée par ce discours d’une si vive éloquence où M. Thiers est venu exposer au grand jour ses actes, ses idées, son rôle de médiateur et de pacificateur entre les partis ? M. Thiers a tout dit, et il l’a dit avec une habile fermeté, sans amertume pour ceux qui se déclaraient ses adversaires, et même sans faiblesse pour ceux qui l’ont soutenu dans cette lutte. Il a du reste parfaitement accepté l’antagonisme qu’on a voulu établir entre la politique qu’il représente, qui a pour elle la garantie de ces deux dernières années, et la politique qu’on proposait sous le nom de « gouvernement de combat. » Il est resté fidèle à lui-même, et le secret de sa force dans cette position, c’est qu’en somme il a le pays avec lui. Son ascendant sur l’opinion dépasse très évidemment la proportion de la majorité matérielle qu’il a obtenue, et par ce seul fait il est d’autant mieux placé pour reprendre librement, avec une pleine indépendance, l’œuvre de transaction à laquelle on doit travailler aujourd’hui. Quant à la droite, se laissera-t-elle emporter plus loin par les passions militantes qui l’ont jetée dans cette aventure ? Si elle pouvait y gagner, on le comprendrait ; malheureusement tout ce qu’elle peut faire, c’est d’entretenir une agitation qui peut compromettre la libération de la France, qui soumet le régime parlementaire à des épreuves faites pour l’affaiblir dans son autorité morale, et qui peut conduire l’assemblée elle-même par le plus court chemin à une dissolution inévitable. On ne peut pas se le dissimuler,