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France et de ses couleurs en deuil aurait porté une assez noble effigie pour se faire respecter. Qu’en a-t-on fait cependant de ce pacte de Bordeaux, qui, pratiqué avec une complète sincérité, aurait pu rester la sauvegarde de toutes les opinions en même temps que du repos et de la liberté du pays ? Il faut être de bonne foi : le respectait-on lorsqu’on allait à Anvers ou en Suisse auprès de M. le comte de Chambord, dont on recevait le mot d’ordre, lorsqu’on préparait des manifestes ou des fusions qui se sont toujours dérobées comme des ombres, lorsque, tenant pour fait ce qu’on désirait, on présentait à la France, selon le mot de M. Princeteau, le « roi sans enfans » et le « dauphin sans ambition ? » On était autorisé à lever le drapeau de la monarchie par des efforts dans un sens opposé, c’est possible. Cela prouve que depuis deux ans chacun est occupé à invoquer le pacte de Bordeaux quand il en a besoin, et à l’exploiter pour son propre avantage quand il en a l’occasion, à en faire sortir le triomphe de ses vœux et de ses espérances. S’il est un homme qui ait respecté le pacte de Bordeaux, c’est en vérité M. Thiers en refusant précisément de gouverner au nom d’un parti, en cherchant à rallier toutes les opinions sincères, tandis que tout le monde autour de lui s’acharnait à ruiner ce provisoire où la France s’était abritée dans la tempête. On est arrivé en effet à le ruiner, ce malheureux provisoire, en démontrant de toutes les manières que le pays aspirait à un régime plus définitif, et on s’étonne après cela qu’un jour soit venu où le pays a fini par se dire qu’effectivement il fallait peut-être songer à s’établir avec un peu plus de fixité, non pas par une révolution nouvelle, mais en régularisant la situation où l’on se trouvait ! Ce jour-là, qu’a fait M. Thiers ? Il s’est borné à déclarer que la république seule lui semblait possible. Hier encore il le disait devant l’assemblée aux partis monarchiques : «  Interrompez-moi en ce moment, si vous croyez que l’intérêt du pays est de faire la monarchie aujourd’hui. » Personne ne lui a répondu ; c’est qu’en effet tout est là Si on peut faire la monarchie, pourquoi ne la fait-on pas ? Si on ne le peut pas, pourquoi empêcher le pays de chercher à régulariser ce qui existe à l’abri d’un pouvoir qu’il a pu apprécier et estimer depuis deux ans ? La pire des choses dans tous les cas, c’est une politique qui, ne pouvant faire ce qu’elle veut, s’acharne à rendre tout impossible par une guerre d’humeurs chagrines, de regrets, d’irritations mal déguisées, de défiances provocantes et agitatrices.

Il y a une manière de tout expliquer, nous le savons bien. On ne veut pas soulever, assure-t-on, la question de la république ou de la monarchie. Ce qu’on demande à M. Thiers, c’est de ne pas trancher lui-même cette question d’abord, de gouverner ensuite avec la majorité ou la prétendue majorité, qui est la droite, d’accepter la responsabilité ministérielle, unique garantie de cette majorité, et enfin de ne pas aller à l’assemblée, où sa présence peut peser sur les délibérations, où la dignité