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rité publique ? Nullement, il a laissé à l’assemblée ses droits, aux opinions leur indépendance ; il a démontré avec la plus saisissante éloquence que la république ne pouvait exister qu’à la condition de rester le gouvernement de tout le monde, d’offrir les garanties les plus énergiques à tous les intérêts conservateurs de la France. Il a fait le procès des agitations révolutionnaires, non en bomme de parti, mais en homme d’état qui s’élève au-dessus des questions de personnes.

Que voulait-on de plus ? Seulement M. Thiers avait dit que la république était le gouvernement légal, le seul gouvernement possible, et c’est là le point de départ apparent d’une crise qui a ses racines dans toute une situation. La droite s’est sentie atteinte, et, après avoir escorté les paroles de M. Thiers de ses murmures, même quelquefois d’apostrophes injurieuses, elle s’est jetée du premier coup sur une motion de M. de Kerdrel, qui a proposé la nomination d’une commission chargée d’examiner le message, et de voir s’il n’y aurait pas lieu de répondre à M. le président de la république. Ce n’était rien encore ; M. de Kerdrel, qui a d’anciennes relations avec M. Thiers, n’avait point agi, à ce qu’il paraît, dans une intention d’hostilité déclarée ; il avait plutôt cru, dit-on, amortir les premières effervescences de son parti en donnant à la réflexion et au bon sens le temps de reprendre leur empire, et, comme le gouvernement ne s’opposait pas à la nomination de la commission, il n’y avait rien de trop grave. On comptait même que l’interpellation du général Changarnier sur le voyage de M. Gambetta serait, trois jours après, l’occasion naturelle d’explications toutes simples qui réduiraient l’importance de la commission Kerdrel, et qui en finiraient avec ce conflit naissant. On comptait sur la paix, et c’est la guerre qui est sortie de l’interpellation du général Changarnier. Les explications du ministre de l’intérieur, nous en convenons, n’étaient pas des mieux faites pour enlever une assemblée ou pour lui tracer sa route. Quant aux orateurs de la droite, ils ont fait certainement ce qu’ils ont pu pour rendre la paix impossible ou pour aggraver le débat. Que voulaient-ils en effet ? Ils voulaient amener M. Gambetta à la tribune, ils n’y ont point réussi, et ils ont été vraiment assez naïfs, s’ils n’ont pas deviné cette tactique facile de l’orateur de Grenoble. Le général Changarnier, M. le duc de Broglie, qui se sont succédé, voulaient tout au moins provoquer les explications du gouvernement, non plus de M. Victor Lefranc, mais de M. Thiers lui-même : ils n’ont trouvé rien de mieux que de placer M. Thiers sous le coup d’une sorte de sommation impérieuse et irritante d’avoir à venir faire sa confession publique en renouvelant devant l’assemblée les déclarations qu’il a déjà faites, il y a deux mois, devant la commission de permanence, et M. Thiers s’est naturellement révolté contre cette sommation. Il a invoqué sa longue carrière, ses actes, ses services, la dignité du gouvernement dont il est le chef.