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attristée, inquiète ; on pressent un mystère dans sa vie. Un de ses cousins, M. René de Rive, avec lequel elle a été élevée et qui occupe aujourd’hui un poste diplomatique à l’étranger, est arrivé depuis quinze jours dans la maison du docteur, dans cette maison devenue le foyer de la famille, car Jean et Hélène y recevaient déjà leur tante, Mme de Rive, la mère de René. René est donc l’hôte du docteur depuis deux semaines, il va repartir bientôt, et Hélène, accablée d’un mal inconnu, a refusé obstinément de le voir. Que se passe-t-il ? que s’est-il passé ? Jean n’a pas même un soupçon ; il est si heureux ! il jouit si cordialement du prix de son travail et de son honnêteté ! Il va marier Blanche, il guérira Hélène, la vie n’aura pour lui désormais que les devoirs les plus doux… Non, un coup de foudre éclate, tout ce bonheur s’écroule. Une horrible révélation a frappé le docteur en pleine poitrine. Hélène, cette Hélène tant aimée, la compagne, la protectrice donnée par lui à sa jeune sœur, — Hélène, il y a un an, n’aurait pas dû accepter la main qui lui était offerte. Avant d’être mariée à Jean, elle avait été séduite par son cousin René de Rive.

Les vraies œuvres dramatiques sont celles qui font penser. Dans Hélène, comme dans les Faux Ménages, il y a une idée sérieuse et forte. Peindre un homme outragé, indigné, altéré de vengeance, et l’amener à se vaincre lui-même, retenir son bras prêt à frapper, faire que toutes ces violences s’apaisent, obtenir que les sentimens de pardon, de pitié, d’amour, triomphent de la plus cruelle douleur et du ressentiment le plus amer, voilà l’idée maîtresse du drame de M. Edouard Pailleron. Malheureusement pour le succès du drame, cette idée ne se dégage pas tout d’abord et nettement aux yeux du public. Bien plus, le soir de la première représentation, une autre idée, une idée plus neuve, plus originale, suggérée par le poète lui-même à la fin du premier acte, avait donné un cours différent aux conjectures des spectateurs. Au moment où René de Rive, dans son égoïsme et sa fatuité, s’imagine qu’Hélène regrette d’être mariée à un autre, au moment où il ose se présenter devant elle et lui rappeler le passé, Hélène se redresse, pâle, indignée, superbe. — A qui donc parlez-vous, monsieur ?

RENÉ.


A qui je parle ? A toi, toi, ma jeunesse,
Toi, qu’il ne se peut plus que mon cœur méconnaisse,
Qui fus, une heure au moins que rien n’efface, rien,
Celle…

HÉLÈNE, relevant la tête.


Ah ! dites-le donc ! votre maîtresse… Eh bien ?
C’est vrai, puisqu’après tout, et malgré mon envie,
Je ne puis arracher cette heure de ma vie,
C’est vrai !… vous avez eu, là, dans votre maison,