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Les soins de l’éducation la plus scrupuleuse ne changent pas ces dispositions : comme s’il y avait entre des caractères dissemblables une impossibilité de se comprendre, une différence de langue que nul effort ne peut faire disparaître. On voit facilement que les remords doivent être inconnus à un pareil état d’esprit ; ils supposeraient une grande force d’impression et une longue continuité de souvenirs. Par la même raison, une maladie comme le suicide ne doit se produire chez ce peuple que par exception ; on en cite à peine quelques exemples depuis que le royaume a des statistiques. Il est naturel que le Grec oublie les torts qu’il a eus à votre égard ; le propre des hommes d’Occident est au contraire de se souvenir. Nous estimons aussi une certaine suite dans la manière de se conduire, le respect de ce que nous avons dit, le sérieux enfin. Le Grec manque vingt fois par jour à ces devoirs que nous mettons si haut et qui font pour nous l’honnête homme. Rien ne choque davantage l’Occidental, rien ne choque moins l’Hellène. On est peu au fait de l’esprit des Grecs quand on croit que les mots ont pour eux le sens qu’ils ont pour nous, leurs compatriotes ne s’y trompent pas ; c’est une langue qu’il faut apprendre, et alors nulle méprise ne reste possible. Ce qui domine chez ce peuple, c’est l’intelligence ? on voit bien par cet exemple ce qu’est la vie intellectuelle quand elle ne comporte pas de fortes passions. La passion arrête l’esprit sur un sujet de réflexions, lui impose des travaux difficiles, le rend solide et sérieux ; l’intelligence livrée à elle-même, quand elle ne s’élève pas à une haute conception scientifique, est sans cesse exposée à tout prendre comme un jeu.

Ce qui charme surtout le Grec, c’est la dialectique, ce sont les combinaisons d’idées, les raisonnemens qui s’enchaînent, sans qu’il ait souvent nul souci du fond. Le Grec trouve un charme infini à la parole, il ne recherche d’ordinaire ni la déclamation, ni les effets passionnés ; il préfère le discours tempéré où les nuances les plus subtiles et qui s’adressent à l’intelligence plutôt qu’au sentiment sont variées avec art. Comme il a l’instinct de l’harmonie et de la cadence, il donne à ces exercices une forme très soignée, il en fait une musique d’un genre très doux où il trouve des émotions méconnues dans nos pays. Parler pour ne rien dire est une de ses habitudes, sans qu’on puisse lui reprocher de manquer de finesse, de distinction même, dans ce plaisir qui le ravit. Nous comprenons très mal tout d’abord ces longs entretiens où les interlocuteurs se donnent gravement la réplique. Avec le temps, nous voyons qu’il y a là une faculté particulière qui suppose un esprit très délié, et qui explique bien des passages des auteurs anciens où nous cherchons aujourd’hui plus de sens que l’auteur ne voulait en mettre. On