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ils auront demain un haut clergé qui parlera leur langue, des popes qui officieront en slave. Ainsi l’hellénisme perd près de 3 millions de chrétiens.

L’église grecque répète que les prétentions bulgares n’ont d’autre raison que l’influence russe, elle compte qu’aucun argument ne doit plus alarmer la Turquie et l’Europe. Il est très vrai que les représentans du panslavisme ont fait une propagande suivie chez les Bulgares, il est vrai que sous l’action du consul de Russie à Philippopolis les Slaves du Balkan auraient peut-être manqué quelque temps encore de décision ; mais cet argument n’a pas toute la valeur que le patriarche paraît y attacher. Ce que fait la Russie, l’église grecque est coupable de ne pas l’avoir entrepris. Est-il permis d’imaginer que ces populations slaves devaient rester à jamais dans une torpeur misérable, qu’il leur fût défendu d’en sortir ? C’est une étrange prétention que de condamner une race aussi nombreuse à l’ignorance absolue, que de lui reprocher ensuite d’accepter la main qui se tend vers elle. L’Europe ne s’y est point trompée ; bien qu’elle ait reconnu dans le mouvement slave de Turquie une influence étrangère qui du reste ne se cache pas ; elle a vu sans en prendre d’alarmes les efforts des Bulgares. Les raisons de haute politique que fait valoir le patriarcat ne sont pas aussi décisives qu’il le croit. Si la Russie acquiert des alliés nouveaux, elle en perd d’anciens qui ont toujours eu une grande influence en Orient ; puis la politique accepte les faits nécessaires quand le progrès des populations y est intéressé. Ce qui se voit en Bulgarie se produira du reste dans les autres provinces de l’empire ottoman. Tous les chrétiens non grecs de l’empire voudront se soustraire à une suprématie religieuse qui a professé pour eux une si complète indifférence. Déjà la Croatie envoie des missionnaires dans les pays qui l’avoisinent ; la Serbie commence à penser que les Bosniaques devraient avoir des écoles et un clergé instruit. Ces événemens ont une conséquence très grave, la lutte est ouverte entre le patriarcat et le gouvernement russe, l’hellénisme et le panslavisme sont aux prises ; les chrétiens orthodoxes dans l’empire se divisent en deux classes : ceux que protège la Russie, ceux qui se rallient autour du trône œcuménique et que soutient le royaume de Grèce. Le tsar est accusé de trahison : il est visible maintenant, disent les Hellènes, qu’en protégeant les orthodoxes il n’a jamais songé qu’à ses propres intérêts.

Ce qui est plus important pour nous que les démarches politiques des Bulgares racontées chaque jour par la presse d’Orient, c’est la haine qui divise ces deux parties de la nation des Romains. De chaque côté, l’exaltation est au plus haut point. Cette antipathie des Slaves contre les Grecs leurs maîtres a été l’origine, même des prétentions bulgares. Un mémoire publié en 1869 par le