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nous montrent ce que devait être une cité cyclopéenne. Zalongo possède de belles voûtes pélasgiques qui témoignent déjà d’une véritable habileté, un palais bâti dans ce style, et, ce qui frappe davantage encore, un théâtre. Il est facile de voir que ce mode de construction ne doit pas être toujours attribué à la haute antiquité, qu’il se conserva dans un temps où le monde antique avait déjà une culture très avancée. Il témoigne toutefois du peu d’influence qu’eut l’art grec sur ces contrées.

L’histoire ne contredit pas les monumens. La vie de Pyrrhus, surtout pour l’époque qu’il passa dans son pays natal, nous dépeint l’Épire comme un état barbare ; le pays était resté soumis à des rois quand le principat avait disparu de toute la Grèce. On retrouve dans Plutarque une suite de détails de mœurs que les coutumes des Albanais modernes expliquent seules ; son héros même, bien qu’élevé en Égypte et en Macédoine et doué de qualités supérieures, ne fut jamais qu’un condottiere de génie. Nous le voyons se jeter en Macédoine sans autre motif que le désir de faire une razzia, passer d’une cause à une autre, rechercher les combats singuliers, se mettre au service de quiconque l’appelle. Bien qu’il commande à des soldats de différentes nations, une petite troupe d’hommes dévoués ne l’abandonne jamais ; c’est avec elle qu’il parcourt le monde. Dédaigneux des lettres, insensible aux arts, étranger aux qualités comme aux défauts des Grecs, il ne recherche que la mêlée et l’action, moins encore pour les triomphes de tactique, bien qu’il y ait excellé, que pour le rôle personnel qu’il joue, l’épée à la main, en face de l’ennemi. Pyrrhus est le héros de l’Épire, le seul grand homme qu’elle ait produit dans les temps anciens, au moment même où la Grèce n’allait plus avoir de grands hommes.

Au moyen âge, cette race eut des chefs qui rappellent le roi des Molosses, mais dont le rôle fut moins illustre ; tel fut, à la fin du XVe siècle, le plus remarquable d’entre eux, Mercure Boua, dont le monument funèbre se voit aujourd’hui à Trévise. Coronaïos de Zanthe a raconté sa vie dans un poème en vers grecs qui est conservé à la bibliothèque de Turin[1]. Mercure quitte de bonne heure sa patrie ; il prend part aux guerres d’Italie, tantôt dans un camp, tantôt dans un autre ; il recherche moins la solde et le butin que l’activité. Ses compagnons d’armes et lui ne savent que se jeter dans le combat. Venise les soumet parfois à une discipline ; elle en fait alors une cavalerie légère qu’elle lance pour engager l’action ou pour la terminer. Ce qui domine en eux, c’est l’ardeur, l’impétuosité, un courage qui ne regarde rien. Ils ont décidé plus d’une

  1. Le gouvernement grec vient de publier ce poème, qui a paru par les soins de M. Sathas, avec une importante introduction sur le caractère et l’histoire des Épirotes.