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s’instruit dans leurs écoles, se sert de leur alphabet pour écrire sa langue, partage leurs idées. Nombre de patriotes d’origine chkipétare qui avaient acquis une grande fortune l’ont consacrée à des œuvres helléniques. Dans les districts méridionaux où l’élément grec est prédominant, on trouve une population plus intelligente, moins cultivée que l’Hellène de la Grèce propre, plus énergique et plus rude. La Basse-Épire, qui commence à Janina, n’a jamais entrevu que de loin la civilisation hellénique. Pour Thucydide, la Grèce civilisée s’arrêtait à Naupacte ; les Etoliens, à ses yeux, étaient déjà des barbares qui vivaient toujours en armes ; les Acarnaniens ne se sont jamais mêlés que par exception aux événemens qui passionnaient le Péloponèse et l’Attique. Le pays des Molosses-Epirotes resta plus isolé encore. Hérodote plaçait dans ces régions, aux frontières extrêmes du monde grec, l’oracle pélasgique de Dodone, sanctuaire mystérieux où les arbres prédisaient l’avenir, où les forêts étaient le temple de la Divinité. On ne trouve plus en Épire les restes d’un seul édifice qui témoigne d’une civilisation avancée, si on excepte les grandes et belles ruines de Nicopolis, cette capitale de fondation récente qu’Auguste éleva près du promontoire d’Actium en souvenir de sa victoire, et, comme les historiens le marquent clairement, pour créer un centre d’industrie et de progrès dans un pays resté jusque-là sauvage. Toutes ces constructions sont en briques ; elles frappent par le vaste développement de l’enceinte encore intacte, par les masses qui servaient de soubassement aux édifices ; les temples et les palais étaient autrefois revêtus de plaques de marbre ou de stucs élégans. Deux grands théâtres, des bains, d’autres monumens dont la destination n’est plus certaine, s’élèvent à côté des aqueducs et des murs, au milieu des grandes herbes que parcourent des troupeaux de bœufs et de chèvres, entre deux mers qui baignent un isthme étroit, en face des chaînes entassées de l’Acarnanie. La ville qui fut bâtie en ce lieu reçut des administrateurs, des soldats, quelques familles riches ; elle vécut au milieu d’un luxe dont les écrivains de l’antiquité nous ont dépeint l’éclat ; elle n’eut que peu d’influence sur le reste de la province, qui garda ses vieilles mœurs. On ne voit partout en Épire qu’un seul genre de constructions, ce sont les murs dits pélasgiques ou cyclopéens. Ils sont plus nombreux dans cette province qu’en aucun autre pays du monde ancien ; ils font le grand intérêt pour l’archéologue d’un voyage dans ces régions. Dans la seule vallée de Paramythia, on trouve dix ou douze enceintes de ce genre. Elles sont aussi fréquentes sur les deux rives de l’Aoûs ; c’est par centaines qu’il les faut compter dans toute l’Épire. Cette architecture a même laissé dans le pays des villes entières, comme celle de Kastritza, où les murs, les rues, les soubassemens des maisons,