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yeux, donnaient à cet ensemble une distinction et un charme d’autant plus vifs que déjà tout annonçait le voisinage de la Grèce.

L’Epire entière n’est qu’une vallée, au milieu de laquelle plusieurs fleuves forment des bassins souvent parallèles ; à l’est s’élève la grande chaîne du Pinde, sur le bord de la mer les monts Acrocérauniens et vingt sommets sans nom ; de chacune de ces murailles descendent des contre-forts. Quand ces hauteurs sont trop rapprochées les unes des autres, on ne voit que des roches de couleur grise, des cimes neigeuses et des précipices, de faibles cours d’eau qui coulent péniblement sur un lit de pierre. La grandeur de ces masses, l’uniformité d’une végétation pauvre, l’absence presque continuelle de la vie, le silence de la solitude, le manque d’horizon, l’étroitesse du ciel qu’on n’aperçoit que par de rares échappées, tout cet ensemble est d’une profonde tristesse. Quelques-uns de ces cantons, celui de Souli par exemple, sont d’un aspect lugubre. C’est dans de pareils sites que l’imagination des anciens avait placé l’Achéron infernal, fleuve qu’ils ont décrit si exactement et qui rappelle le Styx arcadien. On comprend en parcourant ces contrées quel genre de désolation la religion hellénique prêtait au Tartare. L’Epire, il est vrai, a de belles prairies, comme celles de Paramythia ; quelquefois les villes s’élèvent au milieu des bois d’oliviers : Avlona au nord, Prévésa au sud, cachent dans des jardins leurs minarets et leurs vieilles murailles en ruines. Le village de Parga est perdu dans les citronniers ; mais ce qu’il faut surtout dans ce pays pour qu’il ait une complète beauté, c’est que la vue s’étende au loin. La capitale du vilayet, Janina, a ce rare bonheur ; si cette ville voit devant elle, à quelques pas, la lourde chaîne du Pinde, au sud les sommets d’Arta, ceux des monts Odrys, sont assez éloignés pour être revêtus par la lumière de ce gris lumineux, brillant comme un tissu de soie, qui recouvre les montagnes sous le ciel d’Orient dès que nous les voyons à distance. Janina déroule en long ruban sur les bords d’un lac ses maisons, ses mosquées, ses églises ; ainsi s’ajoutent à l’aspect grandiose du tableau la variété et la vie que l’eau donne toujours, même à la nature la plus aride.

Le gouvernement d’Épire a imprimé en 1871 une statistique du vilayet dans le Salinameh ou annuaire officiel ; bien que ce document soit très incomplet et qu’il ne faille pas toujours accepter sans contrôle les renseignemens qu’il donne, nous devons cependant en tenir grand compte. Il est certain que l’autorité a fait faire un recensement, qu’elle a même commencé l’inventaire des champs cultivés et des maisons ; elle connaît bien les sommes qu’elle dépense pour la province ; si nous devons avoir une crainte, c’est x qu’elle exagère ses évaluations. D’autres travaux récens, un