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expérimenté sur lui-même et sur les autres ; il a publié en 1844 un livre fort curieux qui contient le résultat de ses expériences sur ce qu’il nomme justement la folie artificielle. Il a raconté les différentes fantasias dont il a été le héros et le témoin ; mais il n’a pas dit que le principal expérimentateur, savant ingénieux et parfait homme du monde, était, sous l’influence du haschich, atteint de cleptomanie ; il volait les montres, les bijoux, avec une habileté que lui auraient enviée les pensionnaires de La Roquette et de Clairvaux. Si la folie artificielle peut produire la manie du vol, que penser à cet égard de la folie réelle ? Que d’ivrognes intoxiqués d’alcool se sont « amusés » à mettre le feu à leur maison ! La plupart des incendies qui dans la campagne dévorent les toits de chaume et surtout les meules de céréales et de foin sont le fait de fillettes de quatorze à seize ans maladivement prédisposées à la pyromanie. Cet âge est particulièrement dangereux pour les jeunes filles qui ne sont déjà plus des enfans, et ne sont point encore des femmes. Qui de nous n’a remarqué les troubles nerveux dont elles sont affectées, et qui, lorsqu’ils offrent peu de gravité, se manifestent par une perversion du goût ? Elles mangent du charbon, de la mine de plomb, du plâtre, du papier imprimé, des araignées, de la bougie. Tout cela est fort innocent ; mais en même temps elles ont fréquemment des hallucinations. Si ces hallucinations prennent un corps, si elles se fixent sur un individu, si la malade obéit à ce besoin impérieux de faire parler d’elle qui trop souvent tourmente les femmes atteintes d’hystérisme, qu’en résultera-t-ii ? Un procès en cour d’assises peut-être, où la justice, trompée par les apparences, n’admettant pas la perversion d’un être si jeune et ne soupçonnant pas la maladie, fera des efforts désespérés pour découvrir la vérité, renversera ses habitudes, tiendra audience à minuit, afin de pouvoir entendre le principal témoin, qui théâtralement ne parle qu’à cette heure et passe ses journées dans la prostration. Si d’autre part l’accusé ne peut établir l’alibi qui le sauverait, sans perdre à toujours une femme qui s’est confiée à son honneur, il surviendra une condamnation d’autant plus regrettable qu’elle sera plus sévère. Un tel procès est impossible de nos jours, dira-t-on. Je l’espère, car la médecine légale a fait de grands progrès et est écoutée ; mais le fait s’est produit à Paris même en 1835[1].

Volontiers nous appelons le XIXe siècle un siècle de lumières ; il a commis des erreurs flagrantes dont il est bon de se souvenir pour éviter la pierre contre laquelle nous avons déjà butté : à deux cent

  1. Un fait analogue vient d’être jugé à Montauban avec une grande perspicacité ; le principal témoin était aussi une femme hystérique, mais elle n’est point parvenue à tromper le jury.