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contenir les exaltés. Elle nous a donné une leçon grandiose, dont il faut profiter, en nous prouvant qu’on peut traverser un naufrage sans rien abandonner de soi-même, et à l’heure suprême, quand on a cherché des martyrs pour confesser le droit, on l’a trouvée digne d’être associée à Dieu même ; la robe du juge et la robe da prêtre ont été trouées par les mêmes balles.

Il faut, en imitant l’exemple de l’Angleterre, donner à la justice le pouvoir de mettre hors d’état de nuire le maniaque qu’elle est contrainte aujourd’hui de frapper par des lois qui ne sont pas faites pour lui ; il faut qu’elle appelle plus souvent l’aliéniste à son aide, car bien des cas qu’elle a sévèrement jugés appartenaient à la pathologie mentale. Ce n’est pas l’esprit d’impartialité qui lui manque ; mais la science aliéniste est si jeune encore, — elle date des premiers jours de ce siècle, — elle doit lutter contre tant de préjugés, elle a des formules encore si confuses, que la justice semble redouter d’être trompée par elle. Dans une circonstance restée certainement présente à l’esprit des lecteurs, le jury, guidé par la justice, a fait preuve d’une clairvoyance que malheureusement il n’a pas toujours eue au même degré. Un enfant de quelques mois appartenant précisément à une famille de magistrats fut enlevé au jardin des Tuileries par une fille qui, facilement retrouvée, fut arrêtée et comparut en cour d’assises. Sur le verdict du jury, elle fut acquittée. Bien jugé ! La fille était hystérique, elle avait été a contrainte par une force à laquelle elle n’avait pu résister, » pour parler comme l’article 64 : donc elle était irresponsable.

L’histoire elle-même, faute d’avoir été écrite par des hommes qui soient descendus un peu profondément dans l’étude des troubles nerveux de l’intelligence et de la volonté, a formulé bien des jugemens qu’une cour de cassation scientifique invalidera quelque jour. Une impulsion irrésistible, née, chez des êtres maladifs, sous l’influence d’une cause religieuse et d’une cause politique, arme le bras de Ravaillac, que les feuillans avaient renvoyé comme visionnaire, et conduit Charlotte Corday près de Marat. L’un est un monstre indigne de merci, l’autre est presque déifiée ; un célèbre historien l’appelle l’ange de l’assassinat. Tous deux me paraissent irresponsables et victimes d’un cas pathologique parfaitement caractérisé ; l’un et l’autre ont obéi à ce que l’on nomme vulgairement une idée fixe. Pour apprécier sainement des faits de cette nature, c’est l’acte lui-même, l’acte abstrait qu’il faut voir, non point les événemens, souvent déplorables, qui en ont été le résultat. Rarement un monomane qui tue s’y reprend à deux fois ; il emploie le couteau de préférence, et le coup qu’il porte d’un seul jet est presque toujours instantanément mortel ; on dirait que toutes ses facultés concourent à développer en lui une adresse, une précision qu’un homme