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terrasse le mal sacré. Cela est sinistre à voir. Un enfant est au travail, l’aura epileptica, le souffle mystérieux passe, un frémissement imperceptible ride la peau du front, l’œil tourne et devient blanc, un peu d’écume rosâtre apparaît au coin des lèvres contractées, une pâleur grise envahit le visage, un bêlement plaintif s’échappe de la poitrine oppressée, et le malheureux est abattu par la convulsion. Quelques-uns ont des accès si fréquens et tombent si brutalement du haut mal, qu’on est obligé de leur encercler la tête dans un bourrelet de caoutchouc.

A la Salpêtrière aussi, on a établi une école pour les jeunes idiotes ; il y a là une institutrice que souvent j’ai vue à l’œuvre et que je n’ai jamais pu contempler sans émotion, car je connais son histoire, et je n’en sais guère de plus touchante. En 1847, une femme devint folle et entra à la Salpêtrière ; sa fille, qui avait reçu une éducation sérieuse, obtint de la suivre, de rester près d’elle, afin de lui donner des soins. Cette tolérance ne pouvait être que provisoire ; elle devint définitive, grâce au dévoûment filial. Mlle X… se chargea d’apprendre à lire et à écrire aux idiotes. Depuis vingt-trois ans, elle n’a point quitté le froid quartier où ses élèves sont recluses, et rien, — ni une santé visiblement chétive, ni l’ingratitude d’un labeur énervant, — n’a pu la faire renoncer à la tâche sacrée qu’elle a recherchée avec une abnégation admirable. Est-elle payée de sa peine ? Bien peu, si l’on ne considère que le développement rudimentaire des pauvres cerveaux qu’elle veut éclairer, — suffisamment et selon son cœur, si l’on remarque une vieille femme fort douce, un peu sauvage, s’empressant volontiers autour des enfans, qui se promène dans le préau ombragé du quartier, — de la masure, — des idiotes ; la mère et la fille sont réunies. Si cela est contraire au règlement, il faut bénir ceux qui ont su y manquer pour aider à cette bonne action.

Ces malheureuses petites filles dénuées, dont la vie serait insupportable, si elles pouvaient en concevoir l’amertume, ont parfois une distraction qui les occupe et les fait joyeuses pendant une heure ou deux. Tous les ans, le directeur de la Salpêtrière fait venir au carnaval un prestidigitateur qu’on installe avec son petit théâtre dans la salle de réunion d’un des quartiers neufs. C’est une vraie fête de famille ; on y invite les idiotes sages, les épileptiques simples, les folles tranquilles, les indigentes en hospitalité. Il y a des lumières, des fleurs, quelques draperies. Toutes les spectatrices, assises sur des chaises, sont immobiles et silencieuses ; , hébétement des visages est à peu près général. On voit là de pauvres fillettes épileptiques déjà gagnées par l’embonpoint, et qui, malgré leur jeunesse, ressemblent à de grosses vieilles femmes