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France et de trouver une protection pour l’obtenir. On cite quelques agens financiers, notamment des percepteurs, qui ont disparu en emportant la recette. Est-ce pour remédier à quelques abus de ce genre que le gouvernement prussien change si fréquemment le personnel qu’il emploie dans les provinces conquises ? Ne vaut-il pas mieux supposer pour l’honneur des Allemands que beaucoup de fonctionnaires, attirés d’abord en Alsace et en Lorraine par la perspective d’un traitement plus élevé, s’y découragent de l’isolement auquel les condamne l’hostilité de la population, et demandent à rentrer dans leur pays natal ? Un honnête homme consent-il à vivre en quarantaine pendant des mois entiers sans rencontrer sur sa route un regard amical, sans jamais espérer d’autre contact avec les indigènes que des rapports de service ? Quelques préfets, quelques directeurs de cercle, animés de dispositions conciliantes et fort courtois envers les personnes, se flattaient de désarmer les ressentimens à force de politesse ; une courte expérience les a convaincus de l’inutilité de leurs efforts et décidés à quitter le pays. Partout du reste, même si l’on met de côté la question de sentiment pour ne considérer que la bonne expédition des affaires, les habitudes de l’administration prussienne font regretter celles de l’administration française : non que les fonctionnaires abusent de leur autorité pour molester les habitans, ceux-ci ont plutôt à se défendre de leurs avances qu’à résister à leurs menaces ; mais l’absence de toute règle fixe déconcerte les esprits, et la lenteur du travail germanique les irrite. Au fond, c’est la volonté seule du gouvernement prussien, c’est-à-dire l’arbitraire, qui depuis l’annexion règle en Alsace-Lorraine les difficultés administratives. Privés d’une représentation au Reichsrath et d’une délégation départementale, les annexés n’ont rien à espérer, sauf dans les questions municipales, que du bon plaisir des autorités allemandes. On les a si bien dépouillés de tout droit collectif qu’un décret impérial confère au président supérieur de l’Alsace-Lorraine les anciennes attributions des conseils-généraux. À la rigueur même, d’après une loi de l’empire moins libérale que la loi française, en cas de conflit entre les municipalités et le gouvernement, il est permis à celui-ci de faire gérer les intérêts municipaux, non, comme cela se fait quelquefois en France, par une commission prise sur place, mais par des personnes étrangères à la commune.

Cette situation crée aux intéressés de graves embarras. Nul ne sait jamais d’avance non-seulement ce que décideront les fonctionnaires prussiens, mais d’après quels principes ils se décideront. Tantôt ils s’en rapportent aux précédens qu’établit la jurisprudence française et prennent les décisions que les Français eux-mêmes au-