Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/586

Cette page a été validée par deux contributeurs.
580
REVUE DES DEUX MONDES.

avant de s’éloigner, aucun devoir religieux, de confesser, d’administrer les sacremens, de célébrer le sacrifice de la messe ; on les prévenait en outre que cet arrêté du gouvernement serait affiché à la porte de leur église. De telles mesures irritent les protestans d’Alsace aussi bien que les catholiques, et provoquent dans tous les esprits une comparaison inévitable entre les anciens procédés de l’administration française et les violences de l’administration allemande. Depuis lors la presse officielle de l’empire germanique menace ouvertement toutes les communautés religieuses des provinces annexées d’un traitement analogue ; on fait entendre que les couvens catholiques d’hommes et de femmes entretiennent dans le pays l’esprit de résistance, on insinue qu’il peut devenir nécessaire de les fermer par la force. Des centaines de frères, plus de 2 000 sœurs institutrices attendent ainsi avec courage, mais non sans trouble, ce que décidera l’autorité allemande. Privera-t-on de leurs soins les milliers d’enfans qu’ils instruisent, livrera-t-on toute cette jeunesse à des instituteurs allemands, afin de lui inculquer de bonne heure l’amour de la patrie nouvelle qu’on lui impose ?

Le gouvernement prussien allègue pour sa défense qu’il ne porte aucune atteinte à la religion, qu’il ne combat que le fanatisme, et se borne à soutenir la guerre que le pouvoir religieux déclare au pouvoir civil. Peut-on lui reprocher de nourrir de mauvais desseins contre la foi catholique, quand il ne témoigne que des égards au clergé séculier, et rétribue les prêtres des provinces plus généreusement que ne le faisait la France ? Le gros des fidèles ne saisit pas facilement ces distinctions ; il voit fermer des maisons religieuses, il apprend qu’on menace les autres, il craint un commencement de persécution, et sa haine contre l’étranger s’accroît des inquiétudes de sa conscience. Le clergé séculier lui-même, quoiqu’à l’abri de ces coups, se sent atteint indirectement lorsqu’on frappe à côté de lui ses plus utiles auxiliaires. De là un redoublement général de méfiance et d’hostilité à l’égard des Allemands. N’est-ce point assez d’avoir dépouillé les Alsaciens et les Lorrains de leur nationalité ? L’Allemagne prétend-elle asservir les âmes et soumettre les manifestations de la foi à une tyrannique surveillance ? Il suffit qu’une telle question se pose, même à tort, pour entretenir l’irritation des esprits et rappeler à toutes les mémoires la liberté religieuse dont chacun jouissait sous le régime de la loi française.

III.

Toutes ces fautes ont été relevées et le sont encore chaque jour par les publicistes allemands que l’orgueil de la victoire n’aveugle point. Si l’Alsace et la Lorraine continuent à repousser toute ten-