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puiser ses exemples de foi et de vertus chrétiennes dans notre histoire plus volontiers que dans celle de la Prusse ? La moindre apparence de persécution ne ferait qu’irriter les courages et rapprocher les fidèles de leurs pasteurs. On sait par exemple qu’un ecclésiastique aussi intrépide que M. Dupont des Loges, évêque de Metz, ne reculerait devant aucune menace, et serait plus satisfait qu’effrayé de souffrir pour sa foi. Si la lutte s’engageait, le diocèse tout entier le suivrait sans hésiter jusqu’aux derniers sacrifices. Les paroles les plus courageuses qui aient été dites en Alsace-Lorraine depuis l’annexion sortaient de la bouche de prêtres catholiques ou de pasteurs protestans ; plus d’une fois même l’empressement avec lequel les Français se sont groupés en public autour de leur clergé a donné aux cérémonies religieuses le caractère d’une manifestation patriotique. Partout où les Français se réunissent, même pour prier, on ne peut les empêcher de représenter la France. L’administration allemande paraît comprendre du reste que toute mesure d’intimidation nuirait à ses projets au lieu de les servir ; elle semblerait plus disposée à gagner les bonnes grâces du clergé qu’à lui faire peur. Son principal moyen de séduction a été jusqu’ici d’augmenter d’un tiers les traitemens des curés, des desservans, des vicaires et des chanoines. On accepte ces largesses intéressées pour le bien de la religion, sans se croire obligé à la reconnaissance ; nul ne les sollicite ni ne les souhaite, et pas un prêtre de l’arrondissement français de Briey, qui demeure soumis à la juridiction de l’évêque de Metz, malgré l’annexion du siège épiscopal à la Prusse, ne demande à profiter de ces avantages en traversant la frontière. L’Allemagne ne réussit guère mieux auprès des habitans du pays messin, qu’elle vient d’enrichir en leur accordant au hasard d’énormes indemnités de guerre pour les dédommager de ce qu’ils ont souffert pendant le blocus. Quoique beaucoup d’entre eux aient reçu plus qu’ils n’avaient perdu, ils ne savent aucun gré à la Prusse d’une générosité à laquelle ils attribuent le caractère d’une dette, et l’inégalité choquante des répartitions leur fournit un argument commode pour se dispenser de la gratitude. Plus d’un ira dépenser en France l’argent qu’on lui avait donné pour le retenir en Allemagne.

II.

Tant d’exemples réunis prouvent que la Prusse ne fait aucune conquête morale dans les pays qu’elle a violemment détachés de la France. Beaucoup de publicistes allemands en conviennent de bonne foi et en cherchent les causes ; ils attribuent en général l’é-