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LES SOUFFRANCES D’UN PAYS CONQUIS.

connue ; ses remparts tomberont, son enceinte s’élargira du côté de la Robertsau, un large canal amènera à la porte des Pêcheurs les plus grands bâtimens qui naviguent sur le Rhin. La science y fleurira en même temps que l’industrie ; une puissante université, entretenue à grands frais et richement dotée, y réunira les professeurs les plus célèbres de l’Allemagne. Telles étaient les promesses sonores par lesquelles on essayait de consoler et surtout de retenir les Strasbourgeois. Ceux-ci secouaient la tête, attendant pour y croire que toutes ces merveilles fussent réalisées. Ont-ils eu tort de se montrer si incrédules ? Combien de ces beaux projets restent encore à l’état d’espérance ! Qu’est devenue l’ardeur des premiers jours ? L’achat et la vente des terrains de la Robertsau ne seraient-ils qu’une simple manœuvre de la spéculation allemande, si habile en ce moment à remuer les capitaux et à dépouiller les actionnaires ? Où sont les professeurs illustres que devait attirer l’université de Strasbourg ? 52 Allemands remplacent simplement dans l’enseignement supérieur 51 Français aussi instruits, aussi distingués et généralement plus connus que leurs successeurs. Aucun homme considérable de l’Allemagne n’a voulu accepter les offres du gouvernement prussien et affronter les dispositions peu favorables du public alsacien. Il a fallu recruter le nouveau personnel enseignant un peu au hasard, en Suisse, en Autriche, dans les différentes parties de l’empire germanique, parmi les lettrés et les savans les plus obscurs. Installés le 1er  mai 1872, quelques-uns de ces professeurs ont déjà pris la fuite, honteux du vide qui se faisait autour d’eux et ne pouvant se résigner à voir leurs cours déserts. Ce qui manque en effet le plus à cette université, ce sont les étudians ; l’Alsace n’en fournit point et n’en pourra fournir avant longtemps. Les jeunes Allemands n’éprouvent aucun désir de séjourner dans une ville attristée, où la vie d’ailleurs leur sera plus onéreuse que dans les universités allemandes. L’Allemagne en est réduite, pour y attirer quelques étudians, à créer des bourses qu’elle affecte spécialement à l’université de Strasbourg.

Les prétendus avantages que la Prusse offrait aux Strasbourgeois, et qu’annonçait bruyamment toute la presse germanique, n’ont guère retenu à Strasbourg que ceux qu’y retenaient des nécessités de situation, le petit commerce, les petits propriétaires de maisons ou de jardins, une partie de la classe moyenne, dont les ressources tiennent au sol et ne peuvent se transporter ailleurs. Là comme partout, les riches et les pauvres sont partis sans hésiter, emportant les uns leurs capitaux, les autres leurs bras et leurs instrumens de travail. Il faut excepter, bien entendu, de cette classification, trop générale pour être absolue, les grands industriels dont