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utiles et à satisfaire les besoins de l’opinion publique. La lutte des partis politiques devient ainsi une émulation salutaire et profitable à l’intérêt national. Ce qu’on appelle la revanche d’un parti n’est pas un retour pur et simple au passé, c’est au contraire la transformation et l’amélioration de ce parti. Il ne faut pas voir, dans cette compétition de tous les jours, une rivalité d’ambitions vulgaires et une course au clocher de popularité entre les hommes publics. Cette compétition, naturelle et indispensable à tous les pays libres, est au contraire chez une nation la preuve de son bon sens pratique et la meilleure garantie de l’ordre légal.

Qui oserait dire, en considérant aujourd’hui la grande république américaine, que les démocraties sont toujours changeantes, et qu’elles ne laissent pas à leurs gouvernemens le temps d’accomplir des œuvres de longue haleine ? Cela est vrai peut-être dans les temps calmes, quand l’inquiétude des partis, ne sachant à quoi se prendre, grossit démesurément des questions secondaires, et entretient des agitations d’ailleurs sans péril sérieux ; mais dans les temps de crise, dans les heures de danger national, lorsque de graves intérêts sont en jeu et tiennent la conscience publique en éveil, quel gouvernement s’est jamais montré plus persévérant, plus stable, mieux assis sur l’opinion publique que celui de la démocratie américaine ? Dans quel pays du vieux monde, si ce n’est peut-être en Angleterre, la volonté nationale s’est-elle montrée aussi ferme et s’est-elle traduite par des œuvres aussi durables ? C’est que, dans les pays où les partis savent céder à propos, leurs triomphes ou leurs revanches aboutissent non pas seulement à des dictatures provisoires ou à des monarchies passagères, mais à des réformes sérieuses et à de véritables conquêtes de l’esprit public. Les grandes choses ne se font qu’avec du temps, et il ne suffit pas, pour changer les institutions d’un peuple libre, de quelques proclamations et de quelques décrets lancés par un pouvoir de hasard ou par une majorité d’un jour. Plus les partis ont de confiance dans l’avenir, plus ils doivent montrer de patience, de modération, de sagesse pratique, et donner l’exemple de cette disposition libérale, malheureusement trop rare, qui consiste à ne pas s’enfermer dans une doctrine exclusive, mais à tenir compte avant tout des circonstances favorables et de l’intérêt national : c’est l’exemple qu’ils nous donnent de l’autre côté de l’Atlantique ; puissions-nous le comprendre et l’imiter en France !


Ernest Duvergier de Hauranne.