Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/553

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un parti. Il accusa les « soldats et marins » de Pittsburg d’abuser du nom de soldats pour s’assembler dans un intérêt politique, et de vouloir ranimer les inimitiés engendrées par la guerre. Le général Burnside à son tour protesta contre ces accusations. Le général Slocum, chaud partisan de Greeley, répliqua au général Burnside en déniant aux anciens soldats le droit de s’assembler à part, de manifester leurs opinions à part, et de s’isoler dans la nation comme un état dans l’état. On évoqua le fantôme de la servitude militaire et de la domination prétorienne. Or, si l’on se rappelle l’admirable spectacle donné par l’armée américaine à la fin de la guerre, il n’est pas à craindre qu’elle s’isole jamais de la nation et qu’elle y exerce jamais une puissance anormale. Cette armée de vétérans, aguerris par quatre ans de luttes incessantes, se dispersa en un clin d’œil sitôt qu’elle fut rendue à la vie civile, et rentra sans effort dans le sein de la nation, dont elle n’avait jamais été moralement séparée. A vrai dire, il n’y a plus aujourd’hui d’armée américaine, il n’y a qu’une simple association de souvenirs et de patriotisme entre ceux qui la composaient autrefois. Si c’est une puissance politique, ce n’est point une conspiration militaire, et elle existe au même titre que tant d’autres associations électorales beaucoup moins respectables, dont personne en ce pays ne conteste les droits. Il est parfaitement naturel et légitime que les citoyens qui ont versé leur sang pour l’unité nationale tiennent à conserver le fruit de leurs victoires, et persistent à défendre l’Union dans la mêlée électorale comme ils l’ont défendue jadis sur les champs de bataille. S’ils veillent avec un soin jaloux au maintien de l’administration républicaine, c’est qu’ils la considèrent avec raison comme associée au maintien de l’Union et comme indispensable à la paix publique. Intrigue pour intrigue, celle des anciens soldats et marins de Pittsburg valait bien celle des libres échangistes de Cincinnati ou celle des démocrates de Baltimore. D’ailleurs M. Greeley et ses amis n’étaient pas eux-mêmes bien convaincus des dangers de ces assemblées militaires pour la liberté républicaine, car ils essayèrent d’opposer à la convention de Pittsburg une autre convention de soldats et de marins attachés au parti libéral. Seulement cette réunion, tenue à Harrisburg, fut bien loin d’avoir l’éclat de la première ; il n’y parut qu’un assez petit nombre d’officiers marquans et d’hommes considérables dans l’armée fédérale. Elle ne servit qu’à faire voir l’impopularité du nouveau parti et de son candidat auprès de la classe d’hommes la plus disposée à élever la question nationale au-dessus de tous les intérêts secondaires et de toutes les ambitions des partis.

Ainsi, malgré la défection de quelques-uns de ses chefs les plus éminens, le parti républicain se raffermissait de jour en jour. Les