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candidature, mais qui continuait à se rédiger sous son influence, était devenu le plus zélé du monde pour les démocrates des états du sud. Il allait jusqu’à dire que la guerre civile n’avait été qu’un malentendu déplorable, et que jamais les hommes du sud n’avaient eu sérieusement l’intention de se séparer de la patrie. Poussant jusqu’au bout son zèle de néophyte et de défenseur intéressé de ces rebelles qu’il avait jadis si violemment combattus, il essayait de justifier les sociétés secrètes des états du sud, et de démontrer que le fameux Ku-Klux-Khlan, dont les féroces attentats contre les nègres affranchis et contre les républicains des états du sud jetaient encore la terreur et la désolation dans ces provinces, n’existait plus qu’à l’état de légende, ou que du moins il s’était transformé en une association politique conservatrice d’un caractère tout pacifique. Quant aux droits des états, il les exaltait avec une ardeur d’autant plus louable qu’elle était chez lui assez nouvelle, et qu’il avait toujours passé pour un de ces esprits absolus qui veulent faire prévaloir leurs idées à tout prix, en dépit des formes légales et protectrices des droits établis. Cette brusque palinodie ne paraissait pas bien sérieuse, et jetait un jour peu favorable sur le caractère de l’homme que l’ambition politique entraînait si légèrement à de pareilles faiblesses ; mais évidemment cet homme était de ceux qu’on pouvait circonvenir et dominer par l’appât du pouvoir. Il avait plus de vanité que de convictions, plus de savoir-faire que de valeur sérieuse. Ne pouvait-on pas s’emparer de lui, se distribuer d’avance les ministères, provoquer, grâce à son élection, un mouvement d’opinion pour le prochain renouvellement du congrès, rentrer dans la place avec lui et y régner sous son nom ? C’est cette espérance que M. Greeley et ses amis encouragèrent de toutes leurs forces, sans grand souci de leur dignité ; ils réussirent si bien que lors de la réunion de la convention démocratique, convoquée quelques mois plus tôt malgré leurs efforts, la grande majorité de cette assemblée se trouvait acquise d’avance à la candidature du sage de Chappaqua.

La lutte décisive eut lieu, non dans la convention elle-même, qui chez tous les partis bien organisés n’est qu’une délégation chargée de dénombrer les suffrages et de proclamer en grande pompe les résolutions prises, mais dans les conventions préparatoires tenues dans chaque état, où se discutait réellement le choix des délégués, nommés en bloc au scrutin de liste et chargés de porter dans un sens ou dans un autre tout le poids des votes de leur état. Les conventions électorales se composent en effet de la même manière que le collège électoral qui nomme au second degré le président des États-Unis. Une majorité, même insignifiante, dans le sein de chaque état donne l’appoint de tous ses