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imperturbablement qu’elles étaient soudoyées par l’or de l’Angleterre. En 1871, le mouvement avait repris à Cincinnati en formulant plus clairement son programme ; il s’était prononcé à la fois contre tout monopole[1] sous forme de tarifs de douane ou autres, et pour la restitution des droits politiques aux anciens sudistes rebelles qui en avaient été privés depuis la guerre. On résolut enfin cette année de réunir dans la même ville une convention électorale pour y désigner une candidature présidentielle conforme à ce programme. Le général Schurz, orateur éloquent, esprit généreux et sincère, mais quelquefois un peu chimérique, revenait de Nashville, dans le Tennessee, où les démocrates du sud lui avaient fait l’accueil le plus cordial. Enchanté des dispositions conciliantes qu’il avait trouvées dans ce pays, il voulait conclure une alliance avec les démocrates, mais à la condition que ceux-ci vinssent au-devant des républicains libéraux et consentissent à dissoudre leur parti pour en former un nouveau. Or les démocrates entendaient bien au contraire garder leur drapeau et profiter seulement du renfort qu’on leur amenait pour désorganiser le parti républicain, en se servant contre le général Grant du compétiteur qui lui serait donné. Ils ne se rendirent donc qu’en très petit nombre à la convention de Cincinnati. Au contraire les républicains mécontens, le général Schurz et le sénateur Trumbull en tête, y figurèrent presque seuls avec les radicaux avancés des états du nord. Il fut dès lors évident que les questions de personnes l’emporteraient sur les questions de principes, et qu’au lieu de s’occuper d’un changement sérieux de politique on ne rechercherait plus qu’un moyen de faire échouer la réélection du général Grant. C’était là le seul but qui pût réunir les efforts de cette opposition de hasard, et sauf le général Schurz, qui avait souhaité tout autre chose, les chefs ne cachaient pas que leur seule pensée était de « battre Grant. »

La convention se rassembla dans les premiers jours de mai à Cincinnati. Deux candidatures sérieuses se produisirent. Celle de Charles-Francis Adams, républicain estimé, porteur d’un grand nom, digne représentant des principes libéraux affichés par la convention, mais alors délégué du gouvernement fédéral auprès de la commission arbitrale de Genève, paraissait naturellement indiquée. Le nom de M. Adams se trouva d’abord en tête de la liste ; mais les intrigues des conventions électorales, Amérique sont aussi

  1. Cette expression de monopole est une des plus habituelles du vocabulaire politique américain et une de celles dont on abuse le plus, sans doute parce qu’elle est de nature à frapper l’esprit d’une nation démocratique et égalitaire. Ainsi l’esclavage a été attaqué par les abolitionistes comme un monopole, les droits protecteurs sur les marchandises étrangères forment aussi un monopole en faveur du producteur indigène.