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persévérantes dans leurs actes, que les monarchies constitutionnelles et les aristocraties parlementaires.

La réélection du général Grant contient un autre enseignement : c’est que les partis remportent des triomphes plus durables et se maintiennent plus longtemps au pouvoir par la modération que par la violence. Les partis appelés à une longue domination et capables de faire de grandes choses sont ceux qui savent se modifier suivant les circonstances, absorber dans leur sein toutes les opinions modérées et s’identifier avec la cause nationale. C’est là ce qui fait encore aujourd’hui la force du parti républicain et la faiblesse du parti démocrate. Si le parti républicain s’était laissé entraîner, il y a quatre ans, par les radicaux, et s’il était tombé dans leurs mains au lieu de tomber dans celles du général Grant, il n’aurait pas tardé à se rendre impopulaire, et il aurait infailliblement succombé. Si le parti démocrate, au lieu de se compromettre, à la suite du président Johnson, dans une politique maladroitement réactionnaire et de choisir pour candidat aux élections présidentielles de 1868 un homme qui avait été pendant la guerre l’allié déclaré des états du sud, avait eu le bon secs d’accepter dès lors les faits accomplis et de se ranger sous la bannière du général Grant, il ne serait pas réduit, pour ressaisir quelque influence, à tenter un ridicule essai de coalition avec les anciens adversaires de l’esclavage, avec ceux qu’on appelle aux États-Unis les radicaux ; il ne serait pas obligé de flatter les noirs affranchis pour obtenir leurs suffrages, de faire à ses ennemis naturels des protestations d’amitié hypocrite dont personne n’est dupe, et de choisir enfin, pour l’opposer au général Grant, le pamphlétaire abolitioniste Horace Greeley. Peut-être les républicains auraient-ils néanmoins conservé le pouvoir ; dans tous les cas, la défaite des démocrates aurait été moins profonde, s’ils avaient cherché le succès dans une politique sage, au lieu de le chercher dans des intrigues équivoques et dans des marchés déshonnêtes.

Cette singulière attitude du parti démocrate n’aura servi qu’à retarder la crise qui doit un jour ou l’autre, soit sous son ancien nom, soit sous un nom nouveau, le ramener au pouvoir. Il n’est en effet douteux pour personne que l’opinion publique aux États-Unis ne soit à la veille d’une de ces grandes transformations qui s’accomplissent toujours dans les pays libres quand les questions qui ont servi de mot d’ordre aux partis sont complètement vidées, et que les liens accoutumés se relâchent pour faire place à des alliances nouvelles. L’influence du grand parti républicain, quoique fortifiée par cette élection, si du moins il faut en juger par les votes, ne durera qu’autant que la cause à laquelle il s’est voué n’aura