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Des arbres faits d’un brin de sauge, et sur ces cimes,
Le long des sentiers fins côtoyant ces abîmes,
Des pâtres et des rois se hâtent vers le lieu
Où vagit, entre l’âne et le bœuf, l’enfant-Dieu.

« A table ! » — L’on accourt. La sauce aux câpres fume ;
Le nougat luit ;… mais c’est une vieille coutume
Qu’avant de s’attabler on bénisse le feu.

La flamme rose et blanche avec un reflet bleu
Sort de la bûche où dort le soleil de Provence.
Le plus vieux, à défaut du plus petit, s’avance :
« O feu, dit-il, le froid est dur ; sois réchauffant
Pour le vieillard débile et pour le frêle enfant ;
Ne laisse pas souffrir les pieds nus sur la terre ;
Sois notre familier, ô consolant mystère !
Le froid est triste, mais non moins triste est la nuit ;
Et, quand tu brilles, l’ombre avec la peur s’enfuit ;
Prodigue donc à tous ta lumière fidèle :
Qu’elle glisse partout où l’on souffrit loin d’elle,
Et ne deviens jamais l’incendie, ô clarté !
Ne change pas en mal ta force et ta bonté ;
Ne dévore jamais les toits couverts de paille,
Ni les vaisseaux errans sur la mer qui tressaille,
Rien de ce qu’a fait l’homme, et qu’il eût fait en vain,
O feu brillant, sans toi, notre allié divin. »

Le vieillard penche un verre, et le vin cuit arrose
La longue flamme bleue au reflet blanc et rose ;
Le carignié mouillé crépite, et tout joyeux,
Constellant l’âtre noir, fait clignoter les yeux.
On s’attable. La flamme étincelante envoie
Aux cristaux, aux regards ses éclairs et sa joie ;
Le vieux tronc d’olivier qui gela l’autre hiver
Se consume, rêvant au temps qu’il était vert,
Aux baisers du soleil et même à ceux du givre ;
Tel, mourant dans la flamme, il se prend à revivre,
Et l’usage prescrit qu’on veille à son foyer,
Pour que, sans s’être éteint, il meure tout entier.


JEAN AICARD.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.