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Puis, las enfin, s’éloigne, et l’on entend alors
Décroître à travers champs la charmante dispute
Du tambourin qu’on sait amoureux de la flûte.

Les quêteurs de ce pas vont chez le paysan
Qui, les voyant venir, se dit : « Allons-nous-en ! »
Et monte à la « fénière » odorante, et s’enferme.
Les demandeurs sont là, debout, devant la ferme ;
La querelle éternelle et tendre va son train
De la flûte bavarde avec le tambourin,
Et les musiciens marquent le pas sur place.
A force de souffler, le sang monte à leur face,
Et, tout suant, gonflant la joue, ils font si bien
Qu’ils excitent les cris éclatans du gros chien
Qui, toujours aboyant, la gueule toute large,
Fuit, s’approche, recule, et revient à la charge…
L’enfant, qui n’est plus fier, tremble de tout son corps ;
Les deux musiciens s’épuisent en efforts ;
L’enfant crie en pleurant, et l’homme au panier rose
Avec de gros jurons, heurte à la porte close,
Pendant qu’au « fenestron » tout obstrué de foin,
De ce vacarme affreux et gai joyeux témoin,
Se tient coi, si content qu’il en rit en silence,
Le fermier, qui maudit les impôts et la danse,
Et, sous du foin qui bouge, on pourrait entrevoir
Malin, et tout brillant de plaisir, son œil noir.


III. L’AIRE.


Sur l’aire dont on a brûlé l’herbe et les mousses
Qui poussèrent, tout l’an, entre les briques rousses,
Et dont un parapet décrépi fait le tour,
En plein août, sous l’azur torride d’un beau jour,
On étale l’amas des gerbes déliées,
Et les pailles au loin brillent ensoleillées,
S’enchevêtrant, croisant leurs mille barbes d’or,
Si bien qu’on croirait voir luire, vierges encor,
Au seuil de l’Orient entassés pêle-mêle,
Des traits de feu tout prêts pour l’aurore nouvelle.

O trésor des moissons mûres ! vivant trésor !
O chaleur de la vie ! éclat des blés ! seul or