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voter. Somme toute, le nouveau traité a cet heureux résultat de régulariser nos relations commerciales avec l’Angleterre, de faire disparaître les occasions de froissement, et ce n’est pas là seulement un avantage matériel, c’est aussi un avantage politique. Les relations faciles d’intérêts conduisent à des rapprochemens, à des habitudes communes en politique, et, dans l’état où est tombée la France, rien de ce qui peut la rapprocher des autres nations, ses émules dans la civilisation, ne doit lui être indifférent. Il y a des peuples qui ont commencé à se relever par des traités de commerce.

Que se passe-t-il à Berlin ? M. de Bismarck ne veut plus avoir proféré l’axiome fameux qui a fait un si grand bruit et qui lui a été tant reproché : « la force prime le droit ! » Il répond ou du moins, il fait répondre à M. le procureur-général Renouard, qui, à la rentrée de la cour de cassation française, a protesté dans un discours éloquent contre cette audacieuse négation du rôle de l’idée de justice et de droit dans le monde. Il désavoue ou il fait désavouer cette parole, qu’il s’efforce de restituer à celui qui l’aurait effectivement prononcée, au comte Schwerin. C’est possible ; seulement M. de Bismarck semble oublier que, lorsque le comté Schwerin prononçait cette parole, il le faisait pour résumer sous une forme saisissante le système de gouvernement qu’il attribuait au chancelier lui-même, et si on a continué en Europe à laisser au premier ministre du roi Guillaume la triste gloire d’avoir dit le mot, c’est qu’il a trop souvent fait la chose, c’est que ses actes n’ont été que trop fréquemment la traduction de la maxime d’état qu’il répudie. Si le prince-chancelier a un si pressant, un si sérieux désir de désavouer la pensée du dangereux et redoutable axiome dont il ne veut pas être l’auteur, il peut le prouver aujourd’hui de la manière la plus décisive en Alsace, en Lorraine, dans ces provinces courbées sous l’infortune, toutes saignantes encore d’une émigration douloureuse subie par tant de braves gens en signe d’attachement à la patrie française.

On ne peut pourtant pas prétendre à tous les avantages, régner par la force et désavouer en paroles les maximes de la force. Tant que M. de Bismarck n’aura trouvé rien de mieux que de faire adresser des lettres à M. le procureur-général Renouard, tant qu’il n’aura pas donné des gages plus évidens et plus sérieux de sa modération, il restera ce qu’il est, un politique audacieux qui a réussi, mais qui ne sait pas ce que dureront ses succès, justement parce qu’il a mis sur l’œuvre nationale dont il s’est fait le promoteur ce mot prononcé ou non prononcé par lui : « la force prime le droit ! »

La politique prussienne en est pour le moment à vivre de ses derniers succès. Elle ne laisse pas cependant d’avoir jusque dans ses victoires des difficultés intérieures assez graves. Les conflits se succèdent à Berlin. Après la lutte religieuse que M. de Bismarck n’a pas craint d’enga-