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fait de ses propres mains des blessures à la tête, puis il aurait entamé devant l’aréopage une instance judiciaire contre son cousin, l’accusant d’être l’auteur de ses plaies ; bientôt après il aurait, pour de l’argent, retiré sa plainte. Il doit y avoir quelque chose de vrai dans ces faits, que la haine d’Eschine travestit d’une manière si injurieuse. Au moment du procès d’Aphobos, plus d’une fois sans doute les parens échangèrent des reproches et des menaces ; un jour, des insultes on en sera venu aux coups, et Démomélès se sera porté sur la personne de son cousin à des sévices graves. La réconciliation, commandée peut-être d’abord par la nécessité seulement, paraît ensuite être devenue des deux parts sincère et cordiale : on finit par être fier de l’orateur et de l’homme d’état dans cette famille qui l’avait à ses débuts si cruellement repoussé. Pendant la dernière guerre contre Philippe, Démomélès proposa un décret qui honorait Démosthène d’une couronne d’or pour les services rendus à la patrie ; plus tard, ce fut un fils de ce même personnage, Démon, qui fit passer la résolution par laquelle Démosthène, après la mort d’Alexandre, fut rappelé de l’exil.

Nous sommes loin encore de ce temps où le jeune homme dont les débuts avaient été si pénibles deviendra le premier citoyen de la république ; nous aimerions à savoir avec plus de détail quel parti il tira de ses premières victoires, quels débris de sa fortune il réussit à recueillir. Dans la Midienne, il déclare lui-même que, s’il crut devoir réclamer tout ce dont il avait été injustement dépouillé, il fut loin de recouvrer tout ce qu’il revendiquait. D’autre part, Eschine lui reproche à plusieurs reprises d’avoir « dissipé le patrimoine de son père, d’avoir sacrifié d’une manière ridicule la fortune paternelle. » On se demande au premier moment si l’on a bien entendu, bien lu. Comment Eschine lui-même pouvait-il parler ainsi d’un homme qui avait été dépouillé par ses tuteurs de son héritage, et qui pour le reconquérir avait tout tenté, tout bravé ? Il y a là peut-être une allusion aux compromis par lesquels Démosthène crut opportun de terminer les procès pendans contre ses tuteurs. Eschine nous apprend qu’il se réconcilia avec Démomélès, quoique celui-ci eût porté la main sur lui ; à plus forte raison dut-il arriver à s’entendre avec Démophon et avec Thérippide, celui de ses tuteurs dont il paraît avoir eu le moins à se plaindre. Peut-être même, après s’être approprié le domaine dont Onétor lui avait contesté la possession, finit-il par s’arranger avec Aphobos. Non-seulement, cela va sans dire, il n’obtint point par ces transactions les 30 talens qu’il avait réclamés en justice de ses tuteurs, mais il fut loin sans doute de réaliser la somme à laquelle s’élevait la valeur totale de la succession au moment de la mort de