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n’auraient point suffi pour donner à Démosthène cette merveilleuse netteté d’intelligence qui fut le secret de son empire sur les âmes et sa véritable originalité.

Il nous paraît impossible, en lisant les deux plaidoyers contre Onétor, qu’ils n’aient pas convaincu le jury ; le résultat du procès d’Aphobos semble d’ailleurs indiquer que l’opinion était montée contre les tuteurs et leurs complices. Par ses procédés, Onétor avait travaillé à détruire l’effet de la sentence rendue par un jury athénien ; était-ce là un titre à la bienveillance d’un autre jury ? Il est vraisemblable, quoique nous n’ayons aucun l’enseignement à ce sujet, qu’Onétor fut condamné ; dans ce cas, il n’aurait pas eu seulement à laisser Démosthène saisir le domaine d’Aphobos, il aurait encore dû payer au trésor, pour s’être indûment opposé à l’entrée en possession, une amende d’un talent. Ce qui confirme cette conjecture, c’est la haine violente dont toute une coterie, à laquelle appartenait Onétor, ne cessa, pendant bien des années encore, de poursuivre Démosthène. On ne déteste à ce point que l’ennemi par lequel on a été humilié et vaincu.

Que devinrent les poursuites annoncées par Démosthène contre les deux autres tuteurs ? Les biographes ont l’air de croire qu’une même sentence avait frappé Aphobos, Démophon et Thérippide ; mais ce n’est évidemment là qu’une hypothèse gratuite ou plutôt qu’une erreur. Ni dans les discours, tels que la Midienne, où l’orateur revient sur ses débuts, ni dans les nombreuses allusions que son ennemi Eschine fait aux moindres événemens de sa vie publique et privée, on ne trouve un seul mot d’où l’on puisse induire que Démophon et Thérippide aient jamais comparu devant le jury. Ce qui paraît probable, c’est que ces deux personnages, effrayés par l’énergie et le talent dont leur ancien pupille avait fait preuve, allèrent d’eux-mêmes au-devant d’un compromis. La crainte seule les y détermina, car Démosthène n’avait point trouvé d’abord, dans cette branche de sa famille, moins d’animosité et de dureté que chez Aphobos. Démophon, le fils aîné de son oncle Démon, avait trempé dans toutes les prévarications où s’était engloutie sa fortune, et son autre cousin, Démomélès, le frère de Démophon, ne s’était pas mieux conduit à son égard. Par le compte de succession présenté dans les discours contre Aphobos, nous apprenons que Démosthène le père, avant de mourir, avait prêté 1,200 drachmes à son neveu Démomélès. L’héritier, dans la détresse où l’avaient jeté les détournemens dont il était victime, puis les lenteurs du procès, se permit-il de réclamer cette somme ? On ne sait ; toujours est-il qu’Eschine reproche à son ennemi la manière dont il se serait jadis conduit avec ce Démomélès. Selon lui, il se serait