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d’exécution. Tantôt le débiteur réclamait contre l’estimation faite par le créancier, il soutenait qu’elle était très inférieure à la valeur réelle du fonds : il accusait son adversaire de vouloir par ce détour prendre bien plus que son dû ; tantôt il avait depuis le jugement cédé à quelque compère, par une vente fictive, la propriété du fonds sur lequel devait porter la saisie, ou bien il y avait placé une borne hypothécaire[1], souvent antidatée, qui faisait du domaine en question la garantie d’un emprunt antérieur et le gage d’un tiers. Dans l’un comme dans l’autre cas, il s’indignait, il s’irritait, appuyé par des voisins et des amis. On criait très fort, comme le font encore à la moindre dispute les Athéniens d’aujourd’hui ; on se menaçait, et parfois des injures on en venait aux coups. Il arrivait donc que le créancier, de son expédition, ne rapportât point d’autre profit que des contusions et quelques dents cassées. Alors même que la discussion ne dégénérait pas en rixe brutale, il était rare que l’on parvînt à s’entendre et que la saisie fût tout d’abord conduite à bonne fin. Il fallait alors envoyer au débiteur récalcitrant une nouvelle sommation, il fallait intenter contre lui l’action dite d’expulsion, analogue à l’actio unde vi du droit romain, et le mener une fois de plus devant le jury pour s’entendre condamner à déguerpir. Sans doute, fort de la chose jugée, le créancier devait gagner ce second procès ; encore était-ce une chance à courir. Le débiteur retrouvait là une belle occasion de diffamer son créancier. Plaidait-on que le fonds réclamé n’était point libre, qu’il avait été affecté à répondre d’autres dettes, un tiers intervenait au procès, il était facile alors d’embrouiller les esprits dans ces délicates questions de privilèges et d’antériorité ; le malheureux créancier risquait ainsi de voir lui échapper le gage sur lequel il avait déjà mis la main. Le débiteur ou le tiers qui ne pouvait justifier la résistance qu’il avait opposée à l’entrée en possession du créancier s’entendait, il est vrai, condamner non-seulement à déguerpir, mais encore à payer au trésor une amende égale à la valeur du fonds qu’il avait essayé de détenir injustement ; mais tout cela prenait du temps, et dans l’intervalle le poursuivant ne touchait pas une obole, et, s’il avait de son côté des charges et des dettes, pouvait se trouver dans le plus grand embarras.

Aphobos se garda bien de payer dans les délais fixés par la loi. Dès que ces délais furent expirés, Démosthène s’occupa de saisir toute la partie du patrimoine d’Aphobos que celui-ci n’avait pas réussi à dissimuler, tous ses biens-fonds. Il s’empara d’abord de sa

  1. Voyez, dans la Revue du 1er juin 1872, p. 621, les détails que nous ayons donnés sur l’organisation du crédit foncier à Athènes.