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exemple, qu’il avait toujours cru le plus riche des deux. Alors il affirmait devant l’autorité compétente que le revenu de Nicias était supérieur au sien. Nicias était appelé à comparaître : reconnaissait-il l’erreur commise, il prenait sur le tableau des 300 personnes qui cette année-là concouraient à l’équipement des galères la place d’Apollodore ; niait-il, Apollodore sommait Nicias de lui abandonner ses biens, d’échanger sa fortune contre celle de son contradicteur. Cette sorte de cartel, Nicias ne pouvait refuser de l’accepter ; le magistrat prononçait le transfert à la condition pour le demandeur de supporter les charges que, par son action même, il avait déclaré devoir peser sur les biens du défendeur. Il était bien plus facile à un particulier qu’au magistrat de constater l’état réel d’une fortune obstinée à se dissimuler : on trouvera dans le curieux discours contre Phénippe, qui fait partie de la collection démosthénienne, tout le détail de l’échange des inventaires et de la remise des patrimoines. Armé d’un titre légal, stimulé par l’aiguillon de l’intérêt personnel, le nouveau possesseur saurait rechercher et découvrir partout ces biens dont il était désormais l’unique propriétaire.

Usait-on beaucoup de cette faculté, accomplissait-on l’échange ? Il semble qu’il était bien plus souvent proposé qu’accepté. Pour pousser les choses à bout, il fallait être deux et trois fois sûr de ne point y perdre. Quant à celui auquel s’adressait la provocation, s’il était vraiment le plus riche des deux, il avait tout intérêt à payer pour garder ses biens. Ce n’était d’ailleurs qu’entre citoyens riches qu’on pouvait s’adresser ces cartels d’échange. Dans ces fortunes qu’il s’agissait ainsi de troquer l’une contre l’autre, il y avait toujours des immeubles, maison de ville, maison de campagne, métairie, qui depuis bien des années appartenaient à la famille. On aimait, on n’aurait pas volontiers livré à un étranger, même pour gagner quelques mines, la rustique demeure, entourée de figuiers et d’oliviers séculaires, où, vers le pied du Pentélique et du Parnès, on allait fuir la ville et célébrer les dionysies des champs ; on aimait le bouquet de chênes verts et de pins sous lequel, vers le soir, on s’asseyait pour respirer la fraîcheur des brises de mer.

Cette disposition de la loi n’était pourtant pas une lettre morte : comme nous le prouvent et le discours contre Phénippe, et quelques passages des orateurs, l’échange avait parfois lieu. Les choses n’allaient pas souvent jusque-là ; il y en avait pourtant assez d’exemples pour que cette proposition restât suspendue, comme une perpétuelle menace, sur la tête de tous ceux qui se seraient sentis enclins à tromper l’état sur leur fortune réelle. D’ailleurs, comme tous les moyens que la loi fournit au citoyen pour défendre son droit, cette faculté pouvait servir à mettre injustement en péril le